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Juger Pétain

Entretien avec Sébastien Vassant

Propos recueillis par L. Gianati Interview 16/09/2015 à 14:31 8100 visiteurs

La couverture, sobre voire austère, ainsi que le sujet de Juger Pétain vont sans doute laisser de nombreux lecteurs sur la touche. Et pourtant... Il suffit d'ouvrir ce gros pavé de quelques 140 pages pour découvrir que le travail effectué par Sébastien Vassant n'a rien d'une simple adaptation du documentaire réalisé par Philippe Saada. Choix narratifs astucieux et mises en image claires et lumineuses font de ce procès, retentissant pour l'époque, un moment de lecture instructif, passionnant, presque ludique.

Comment vous a-t-on proposé de travailler sur Juger Pétain ? Accepte-t-on facilement ce type de projet ?

Sébastien Vassant : Franck Marguin de la collection "1000 feuilles" chez Glénat connaissait un peu mon travail mais c’est en voyant ce que j’avais fait dans La Revue Dessinée qu’il a pensé à me proposer ce projet. Au départ, l’idée de porter en bande dessinée un procès, lourd de détails historiques à intégrer, et de personnalités qui défilent au jour le jour ne m’a pas enthousiasmé. Mais je me suis rendu compte que je connaissais mal cet aspect de la seconde guerre mondiale, la collaboration, et notamment le personnage de Pétain. C’est en lisant le script du documentaire de Philippe Saada que le sujet m’a semblé réellement pertinent et éclairant sur plusieurs points. Le défi de porter ce genre de récit didactique, figé par l’essence même d’un procès, sans le rendre indigeste, a rapidement changé ma vision du projet et m’a convaincu de le faire. 

Qu’apporte la bande dessinée par rapport au documentaire réalisé par Philippe Saada ? 

S.V. : La bande dessinée et le documentaire télévisé ont un langage très différent. Le rythme de narration n’est pas le même. J’avais déjà constaté cette différence de langage sur Frère d’ombre où j’avais adapté le scénario de Jérôme Piot qui était initialement écrit pour le cinéma. Certaines scènes visuellement efficaces à l’écran ne fonctionnent pas en bande dessinée parce que le cadrage doit être plus varié, le rythme plus rapide, les dialogues plus concis. Au contraire, les scènes en elle-mêmes peuvent être beaucoup plus étirées et déconstruites. Pour en revenir au documentaire, la bande dessinée apporte une distance nécéssaire pour la compréhension du sujet grâce à des métaphores visuelles, aux digressions, aux changements de rythme… On peut plus facilement appuyer certains aspects de sa démonstration en jouant également sur le rythme afin que le lecteur puisse souffler de temps en temps.

Avez-vous dû adapter ou modifier certaines scènes ?

S.V. : J’ai longuement étudié les films de Philippe Saada, le fil de sa démonstration, la chronologie choisie. J’ai essayé le plus possible d’être fidèle à son approche et à sa construction. J’ai dû visionner chaque épisode une trentaine de fois, j’ai lu une grosse partie de la retranscription des minutes du procès pour retrouver certaines lignes de dialogue supplémentaires, certains éclaircissements, et j’ai essayé de compléter ma connaissance sur le sujet et les protagonistes par d’autres lectures… Une fois que j’avais bien assimilé tout cela, j’ai travaillé à re-découper chaque idée et à les modeler afin de créer une nouvelle dynamique qui me soit personnelle et qui soit pertinente en bande dessinée… Il fallait également que le livre me soit personnel, que je ne sois pas simple exécutant.

Comment avez-vous travaillé avec Philippe Saada sur cet album ?

S.V. : Philippe Saada m’a fait confiance et il m’a énormément apporté pour comprendre le personnage de Pétain, les enjeux historiques de ce procès, et surtout, son contexte politique. Sur chaque détail, il m’a apporté des précisions, mais mieux encore, des anecdotes. C’est aussi une volonté de révéler quelques détails qu’il ne pouvait pas aborder dans son documentaires, comme la place de la maitresse de Reynaud ou l’ambiance frivole de Vichy à l’opposé de la situation désastreuse dans le reste du pays.

Le début du procès date du 23 juillet 1945, soit peu de temps après la fin de la guerre, un délai finalement très court pour préparer une défense efficace… 

S.V. : Il est surtout intéressant de comprendre pourquoi il était nécessaire de juger Pétain aussi rapidement. De Gaulle en avait clairement besoin pour appuyer sa politique de rupture, créer une nouvelle dynamique et s’imposer comme l’homme providentiel. C’est ainsi qu’il voulait absolument qu’on juge Pétain rapidement mais aurait préféré que celui-ci ne soit pas présent. Pour le grand public, ce procès était un moyen concret d’en finir, un besoin humain de juger les coupables de cinq années désastreuses. Il est évident que pour la défense, il fallait être rapide et efficace dans la préparation de son plaidoyer… Mais il faut se souvenir qu’en juillet 45, les mémoires sont fraiches sur les événements, les témoins se bousculent pour apporter leur version de la guerre et surtout pour justifier leurs propres actes. Le plus compliqué pour les avocats de Pétain a été de trouver leur ligne de défense.  Une fois fait, ils ont rempli avec le plus de comparutions possibles… 

La comparaison procès-théâtre est omniprésente tout au long de l’album, de la présentation des acteurs jusqu’au dénouement final et l’arrivée tonitruante de Laval…

S.V. : La construction d’un procès est à la base très théâtrale… Il y a des acteurs qui jouent leur propre rôle, qui racontent une histoire à une audience, qui y font des révélations… De plus, Pétain restant muet pendant la plupart du procès, j’aimais cette idée de configuration en arène, où il se retrouve au centre et tout s’agite autour de lui.

Existe-t-il beaucoup de documentation sur le déroulement de ce procès ? Comment avez-vous fait le tri entre les différents témoignages et comptes-rendus ? 

S.V. : Notre chance a été que presque l’intégralité du procès a été filmée. J’avais donc pas mal de points de vue de la salle du tribunal. Il fallait s’en détacher malgré tout le plus possible pour que je ne me retrouve pas à réaliser des « cases-photos ». De son côté, Philippe Saada avait déjà passé plusieurs années à travailler le sujet. Il a pu répondre à chacun des détails qui me semblaient plus flous sans que je sois obligé de faire de nouvelles recherches. Mais il m’a fallu tout de même me plonger dans de grandes heures de recherches iconographiques, de vérifications de petits éléments, des détails historiques… 

N’y a-t-il pas de la frustration à voir évoluer l’ensemble des acteurs sans que le principal intéressé, et accusé, ne se défende mis à part son discours d’introduction ?

S.V. : Au contraire, j’ai trouvé que cela accentuait le mystère sur son rôle pendant la guerre. Je pense que le fait que son personnage soit aussi énigmatique, c’est qu’il ne s’est jamais expliqué. Comme le dit Reynaud dans le procès, il ne parle jamais, il ne fait que des déclarations. Tout son discours parait officiel, lisse… il est quasi impossible de connaître son fond véritable. Tout ce que l’on connaît, ce sont ces petites fulgurances d’humour comme celle, véritable, qui se situe à la fin du livre.

Comment avez-vous abordé graphiquement cet album ?

S.V. : Le plus difficile a été de rendre les personnages assez vivants, assez ressemblants, malgré le fait qu’ils ne font que « témoigner » et ne sont pas trop dans l’action. Des fois j’y arrive, des fois moins. Mais sinon, j’avais déjà mon trait qui peut faire assez vieillot et qui semblait ainsi bien correspondre au sujet sans que j’ai trop à m’en soucier. J’ai surtout essayé de varier le plus possible les cadrages, certaines pages étant très fournies et d’autres plus aérées… de jouer avec certaines astuces graphiques pour casser le rythme de lecture.

Comment avez-vous choisi les quatre premières planches de l’album ? (l’arrivée de Pétain en France, les coupures de journaux et l’ordonnance du 18 novembre 1944)

S.V. : Ce sont mes pages d’introduction. Elles servent à poser le contexte. Nous sommes à la fin de la guerre, Pétain est arrêté, c’est notre sujet, on va le juger. Point. A partir de là, je peux raconter mon histoire sans avoir été longuement trop démonstratif. J’ai aussi l’impression que ça pose tout de suite le mélange de narration que l’on va découvrir dans le livre : une scène narrative muette, des extraits de journaux reproduits, une page de texte très simple…

Insérer des séquences un peu plus légères comme « A cup of tea with Churchill » ou « Ma vie avec les les boches », c’est une façon de dédramatiser un peu le propos ?

S.V. : Étudier cette période de l’Histoire a été assez lourde, surtout quand on passe dix heures par jours à lire, écouter, regarder des témoignages assez glauques. J’ai besoin de m’imprégner de l’ambiance et de l’histoire quand je travaille sur un livre et ainsi, pour celui là, ce n’était pas très plaisant… Ainsi, petit à petit, j’ai naturellement eu besoin de souffler en insérant des séquences plus légères… Mais d’un point de vue narratif, elles m’ont servi à dynamiser le récit pour éviter que le lecteur ne s’endorme à lire une démonstration uniforme. Les petits strips avec Churchill ou le faux journal intime de Pétain permettent d’inclure des informations tout en créant des repères dans le récit, récurrents, et de réveiller le lecteur.

À la fois sauveur et traître. Est-ce pour cette raison, selon vous, que Pétain continue à fasciner et à diviser 70 ans après la fin de la guerre ?  

S.V. : Il est clair que cette ambivalence mystérieuse fascine. Et comme je l’ai dit, le simple fait de ne pouvoir jamais connaitre la véritable nature du personnage permet de fantasmer beaucoup sur qui a été réellement Pétain. Et quand on a un personnage aussi emblématique dont les motivations n’ont jamais été très définies, on peut facilement les interpréter et les réutiliser de manière totalement libre.

Votre point de vue sur Pétain a-t-il évolué pendant l’écriture de l’album ? 

S.V. : Travailler sur le livre m’a surtout permis de saisir la complexité du personnage mais en rien cela n'a permis de comprendre et de justifier ses décisions et ses actes. Au contraire et il en va de même pour Laval. Le fait de pouvoir expliquer pourquoi ils étaient persuadés de « sauver la France » accentue presque le côté misérable de leur politique. Par contre, étrangement, le livre a permis de percevoir autrement la politique actuelle. 

Juger Pétain aurait pu faire un excellent article de La Revue Dessinée ! (sourire)

S.V. : J’ai énormément appris en travaillant pour La Revue Dessinée et cela m’a servi pour Juger Pétain. Mais je pense que sur le même sujet, j’aurais envisagé le récit différemment. J’aurais peut-être choisi justement d’accentuer l’écho que peut avoir le procès sur l’histoire contemporaine.

Quels sont vos projets ? 

S.V. : Je viens de terminer un nouveau reportage pour La Revue Dessinée sur la question des expériences scientifiques touchant la modification du climat. Je finis également actuellement un projet de longue haleine en collaboration avec Kris, pour Futuropolis, intitulé « politique Qualité » et qui suit une troupe de femmes anciennement employées d’une usine à Brest. Ca parlera de notre relation au monde du travail, de notre société, à travers leur expérience. Je commence également à écrire un livre pour Le Seuil sur la Guerre d’Algérie en échangeant avec l’éminent Benjamin Stora. C’est un travail lourd mais passionnant. Je continue ainsi mon approche documentaire de la bande dessinée en le poussant un peu plus. Enfin j’ai hâte de retrouver Gilles Lahrer pour un prochain livre prévu chez Futuropolis et que je dois commencer l’année prochaine.



Propos recueillis par L. Gianati

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Frères d'ombre

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L'accablante apathie des dimanches à rosbif

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