Mais le dessinateur / scénariste du célèbre cow-boy n'a pas fait que conclure une aventure de 30 ans : allant jusqu'au bout de sa logique de faire vieillir ses personnages tout au long de leurs aventures, il va jusqu'à présenter la mort de son héros.
Rencontre avec le plus indien des auteurs suisses.
De Yakari à Buddy Longway : un autre aspect des indiens
BDGest' : si on regarde votre carrière dans son ensemble, vous semblez vivre un lien fort avec la culture indienne...
Derib : Même si Buddy Longway est une série plus classique par rapport à un autre aspect de mon travail (Celui qui est né deux fois / Red road), j'ai toujours eu à coeur de donner une image des indiens moins dévalorisée que ce qui se fait habituellement dans le western.
Ce que j'essaye de traduire, c'est l'esprit indien. J'ai la chance depuis tout petit d'avoir ressenti les indiens assez proches de ce qu'ils étaient.
Je développe une sensibilité qui n'est parfois pas loin de la leur. Comme j'ai beaucoup vécu à la montagne, jusqu'à 5 ans à 1800 m d'altitude dans un chalet, j'ai un ressenti de la nature qui est très fort : toutes les premières émotions, le toucher, ce qui a trait à la montagne. Le bruit de l'eau qui coule, qu'on le vive là ou au Canada c'est le même.
BDGest' : votre approche du monde indien découle-t'elle plus de votre sensibilité à la nature ou à la spiritualité ?
Derib : les deux sont absolument liées. Quelqu'un qui vraiment aimé la nature ne peut pas ne pas avoir de recherche intérieure. Une fois qu'on part là-dedans on ne peut pas revenir en arrière, la nature fait partie intégrante de ce contact qu'on essaie de développer et du respect qu'on continue d'avoir. J'ai été très étonné avec les indiens que j'ai rencontré : ils parlaient aux feuilles, aux arbres, ils enlaçaient des troncs quand ils sentaient qu'ils avaient un feeling. Ils ne faisaient pas du tout ça pour la galerie ! On sentait que c'était leur quotidien.
La fin de Buddy Longway : chronique d'une mort annoncée
BDGest' : que ressent-on quand on termine une série au bout de 30 ans ?
Derib : il y a deux choses qui viennent : la tristesse évidement - l'émotion de terminer une série - et puis dans un autre sens je suis content d'avoir fait ce que j'avais dit. Le gros pari c'était de bien terminer Buddy. j'ai fait tout ce que j'ai pu pour que cet album soit un album fort et qu'il laisse une émotion. Quand j'ai repris Buddy après 15 ans, j'ai relu les 16 premiers et je me suis dit qu'il était évident qu'il ne fallait pas en faire plus de 20 parce que je finirais par me répéter. Il n'y a rien de pire pour une série de commencer à faire moins bien que ce qu'on a fait avant. J'ai tout fait pour avoir un crescendo : le dix-septième était un peu une reprise pour ceux qui ne connaissaient pas la série et je suis monté en puissance. J'espère que le dernier atteint le sommet de ce que je pouvais faire.
BDGest': Vous avez dit que si vous aviez terminé la série il y a 15 ans - une brouille avec l'éditeur ayant mis la série en sommeil - le personnage aurait eu une mort différente...
Derib : Sûrement car je n'étais pas l'homme que je suis aujourd'hui. Il y a 20 ans je savais qu'il y aurait 20 albums et que ça se finirait par la mort du personnage. Mais je ne savais rien de plus.
BDGest' : Pourquoi avoir choisi une mort violente ?
Derib : D'abord je ne voulais pas qu'il reste un des deux. Dans cette histoire d'amour je voulais leur donner la chance de mourrir ensemble. Il y avait plusieurs versions possibles : soit ils meurent dans une avalanche ou un incendie, quelque chose de naturel ; mais ça aurait été des "noix sur un bâton" à mon sens. Quand j'ai relu les premiers albums pour faire le dix-septième, je suis tombé sur "le secret " et je me suis dit qu'il y avait une possibilité crédible qui boucle l'ensemble. Finalement la vie a été dure pour Cheval fougueux, et puis Buddy, Chinook et Jérémie s'en sont mêlés un peu beaucoup, on peut comprendre qu'il soit un fanatique de la vengance. J'ai pensé qu'il y avait quelque chose à développer.
BDGest' : Cet album est une sorte de revisitation à rebours des albums précédents, pour revenir au début de la série. Vous vouliez boucler la boucle ?
Derib : Je voulais terminer un cycle. J'ai eu la réflexion de personnes qui ont lu cet album et qui ont eu envie de recommencer toute la série. Je pense que c'est bien si le vingtième oblige à cette réflexion ; si je l'avais terminé en "queue de poisson", il n'y aurait pas cette force. Je pense que l'album donne une résonnance à l'ensemble de la série : ça va donner une nouvelle intéprétation potentielle aux premiers titres.
BDGest' : Le vingtième album est véritablement un album de conclusion puisque tout le long il annonce la fin tragique...
Derib : Oui, avec deux histoires : il y a Buddy et Chinook qui retournent à la source de leur premier amour, au sens propre comme au figuré, ils retrouvent une sorte d'harmonie et de sérénité puisqu'ils y découvrent une sorte de fils adoptif. Tout va bien pour eux jusqu'à la dernière page.
Le lecteur sait le danger qui les menace, c'est cette tension qui me paraît intéressante et l'épilogue vient confirmer la chose dans une perception de douceur : par le dessin aquarelle d'une part, d'autre part par la lecture et les réflexions de Kathleen qui intègre la mort de ses parents en disant qu'ils resteront sa source de vie. Je voulais aborder la mort comme j'ai perçu celle de mes parents : à partir de là les choses changent : on devient responsable des autres, il n'y a personne au-dessus, on devient vraiment adulte.
Je voulais donner cette perception à Kathleen pour en faire un personnage fort qui peu, éventuellement, un jour, devenir un personnage à part entière. Je voulais qu'on sente qu'elle repart avec une énergie qui lui vient de ses parents, même s'ils sont morts.
L'après-Buddy
BDGest' : Quels sont vos projets après la fin de cette série ?
Derib : Je ne vais pas arrêter de faire de la BD ! Il y aura certainement un retour à Kathleen... je vais laisser passer 3-4 ans et je vais voir ce que j'aurai obligatoirement besoin de faire.
Actuellement, il y a une commande de BD sur la prévention de la prostitution pour le "Mouvement du Nid", on va traiter du problème du client. C'est donc de nouveau un sujet hyper délicat, difficile et tabou. Ca m'intéresse sur le plan psychologique et relationnel, mais ça va de nouveau être très dur.
Après ça je vais avoir besoin de me retremper dans l'ouest. Je pense faire un one-shot en couleur direct, comme l'épilogue de La source. J'ai vraiment eu du plaisir à le faire, s'il n'y avait pas eu ces pages, j'aurai eu de la peine... je ne sais pas si j'aurai eu le courage de faire ça. J'ai commencé à faire mon deuil avec : malgré l'émotion il y a eu un plaisir du dessin et de la couleur qui m'ont beaucoup aidé. C'est peut être paradoxal et une forme de garder l'envie de faire du Buddy, mais depuis qu'ils sont partis j'ai fait beaucoup de portraits de Buddy, de Chinook, de Kathleen et de Jérémie. Ca veut dire que pour moi ce n'est pas fini.
Je ne vais jamais partir en 20 tomes, c'est exclu... mais deux ou trois tomes ne me font pas peur.