50 autres inédits attendent les lecteurs dans le calendrier promo qui sera offert en librairie pour l’achat de 3 albums du label Série B, du 21 Septembre au 31 Décembre et dans la limite des stocks disponibles.
INTERVIEW
BDGest’ : D’où vient la collection Série B, et comment définiriez-vous la ligne rédactionnelle de la collection ?
Olivier Vatine : Avec Fred, nous nous sommes connus dans l’animation il y a une quinzaine d’années. Je venais de co-scénariser un livre (Adios Palomita), et en même temps j’avais fait de l’éditorial sans savoir que ça s’appelait de l’éditorial.
Un jour, j’en ai touché deux mots à Fred, pour qu’on puisse renouveler l’expérience. On a donc proposé le label à Delcourt qui nous a dit "oui" ; je crois que dans un premier temps c’était surtout pour ne pas qu’on signe chez un autre éditeur. On bossait dans un studio de dessin animé avec Didier Cassegrain (Tao Bang), et il y avait aussi Carmen Mc Callum qui était en gestation. La signature des contrats de ces deux livres historiques s’est donc faite quasiment dans la même semaine. Et la ligne éditoriale s’est grosso modo faite.
Blanchard - Vatine © O. Roller
Fred Blanchard : Elle était établie dès le premier titre. Nous faisons un peu le grand écart parce qu’il y’avait de l'Heroic Fantasy, du Cyber Punk - à l'époque encore, quand tu parlais de Cyber Punk, c’était une espèce de BD avec des punks dans des cités un peu à la "Métal", alors que les gros poncifs n’avaient rien à voir avec du Cyber. Ce que nous voulions, c’était avoir de la BD de genre telle qu’on l’aimait en tant que lecteurs dans les années 70 ; mais en parlant de thèmes actuels, quitte à les détourner comme cela a été le cas avec Tao Bang. Comme le disait Olivier, cela a été la deuxième série signée, mais malheureusement ça n’a pas été la deuxième série à sortir.
OV : Oui, pour faire court, le principe est de faire du Charlier ou du Greg, mais avec les thématiques actuelles de la littérature SF ou du cinéma. On travaille avec trois scénaristes seulement, des gens qu’on connaît bien...
FB : ... rencontrés dès le début. C’est là qu’on se rend compte qu’on a eu beaucoup de chance de tomber sur trois personnes qui avaient fait presque des prolongements de notre volonté éditoriale de base ; c’est-à-dire des gens avec qui nous nous sommes entendus sur l’essentiel et qui nous ont permis de continuer l’impulsion de départ. Ce sont eux qui ont infusé l’idée de base de chaque série, qui ont développé des univers en extension dès le départ. Très vite nous nous sommes rendu compte que ce qui était intéressant aussi, c’était de proposer des univers, c’est-à-dire proposer des séries parallèles. Les premiers cycles paru a été Carmen Mc Callum et Travis. Dès le départ, ces albums étaient voulus comme deux séries se passant dans le même espace-temps, dans le même univers. Ce n’est pas du tout apparu au lecteur à l’époque.
Il y a très vite eu des passerelles. C’est vrai qu’à ce niveau là, nous avons vraiment eu de la chance de tomber sur ces trois scénaristes-là, avec qui on continue encore. Des fois, on dit, pour rire, qu’il faudrait qu’on trouve un quatrième... ce n’est pas si évident que ça, c’est vraiment toute une communauté d’esprit à la base.
OV : En fait, ça nous a permis d’essuyer les plâtres aussi, sans avoir trop à se soucier de l’écriture dans un premier temps. Nous avons donc commencé notre travail éditorial en se prenant pas mal les pieds dans le tapis, en faisant des erreurs. Mais comme la partie écriture allait, nous étions plutôt rassurés, c’était centralisé.
FB : Ce n’était pas évident non plus à l’époque. Maintenant, ça paraît évident, mais c’était la première série en solo de Duval. C’est pour ça que nous sommes cités sur l’album de Carmen, parce que nous l’avions un peu encadré, accompagné. Pécau n’avait pas réussi à monter un seul projet quand il a commencé avec nous, et il a débuté Zentac en même temps que Nash. Pecqueur, pour Olivier Vatine c’était un retour vers le futur ...
OV : ... c’était un vieux pote. C’est lui qui m’avait mis le pied à l’étrier.
FB : C’est vrai que le début n’avait rien d’évident, parce que nous avons vraiment commencé avec des auteurs qui pour la plupart n’avait rien fait, même les dessinateurs. Christophe Quet, je l’ai rencontré quand que je travaillais pour Casiglia, j’attendais pour voir le rédacteur en chef, je m’embêtais, je suis allé voir dans les réserves et je suis tombé sur le dossier de ce mec-là. Toi, tu avais repéré le travail de Gess qui venait de sortir Teddy Bear chez Zenda. Et c’est le premier que nous avons appelé. Nous avons tous débuté, autant eux que nous au niveau éditorial, parce que tout le monde a commencé à son poste ensemble.
BDG : Est-ce qu’il y a une ligne graphique ou narrative Série B ?
FB : Les gens ont tendance à le dire, mais moi je n’en suis pas sûr. Le fait est que les premières personnes avec qui nous avons travaillé avaient en tête le dessin d’Olivier.
OV : De fait, au moins au début, nous avons monté beaucoup de "Cybers" avec Pécau et Fred Duval. C’était la même littérature, le même genre d’illustrations, alors effectivement il était possible de trouver un lien au niveau du graphisme.
FB : Par contre, nous intervenions un peu plus dans la narration. Par exemple, nous avions tendance à surveiller Damour pour les premiers Nash, parce que c’était Olivier qui avait établi les principes de base. Nous sommes complètement à contre-pied de l’Association, ils sont plutôt les descendants de Tintin et d’Hergé, tandis que nous partons du principe qu’il y a une grammaire graphique présente partout (du cinéma à la télévision), et que nous pouvons tout à fait l’utiliser dans un livre. Il faut tenir compte de tout : le découpage imagé qu’on peut avoir dans l’image qui bouge est tout à fait réutilisable, en tenant compte du format plat de l’objet livre.
OV : Aujourd’hui, je pense que la collection s’est diversifiée. Il y a plus de 50 livres dans plusieurs genres, du polar, de la fantasy, de la SF toujours...
FB : Et puis c’est même un peu dur pour les auteurs d’entendre qu’ils font du sous-Vatine. Certaines critiques donnaient l’impression que les gens qui travaillaient avec nous n’avaient pas de personnalité, c’était : "ah ben c’est du Vatine" alors que justement ces auteurs avaient quelque chose à amener. Mais petit à petit les critiques s’aplanissent, parce que Série B entre de plus en plus dans le paysage éditorial. Mais de toutes façons, quand on fait du genre, on est amené à être critiqué.
OV : En même temps, nous avons essayé de faire notre propre version de la BD de genre, au moment où L’Association démarrait un peu à contre-courant (nous apprécions énormément leur travail !). En fait, ça ressemblait un peu aux batailles d’écoles dans les années 60-70, entre la « Nouvelle Vague », Truffaut.. et tous les réalisateurs qui tournaient les Tontons flingueurs.. qui pour le coup faisaient vraiment de la Série B.
FB : L’Association, ce sont des gens qui font volontairement un travail d’auteur, un peu comme le roman au XIXème. Nous, dès le départ, nous avons souhaité apporter le savoir-faire découvert dans le dessin animé. C’est vrai que si, dans l’équipe, des gens n’étaient pas bons dans le design ou dans la narration, nous n’hésitions pas à mettre une personne de plus sur le livre, et elle était créditée sur la couverture. En plus à l’époque où nous avons commencé, les coloristes n’étaient pas forcément crédités. Donc je pense qu’au début, il y a eu plus d'auteurs que d’habitude sur les couvertures, et ça a peut-être aussi accrédité à tort la thèse que c’était un peu un studio et que c’était fabriqué, que les auteurs étaient noyés sous des espèces de machines. Et comme Olivier était mis en avant par tout le monde comme l’auteur d’Aquablue, c’était un peu, "une déclinaison d’Aquablue", les gens nous considéraient un peu comme des faiseurs…
OV : C’est très français de critiquer le travail du producteur, en tout cas dans la profession du livre. Dans le cinéma ou l’audiovisuel, c’est admis. Mais il y a toujours eu des équipes éditoriales ! Quand Jules Verne publiait un livre, il avait une perception du public, comme un éditeur aujourd’hui. Et même dans son travail d’auteur il avait un regard de producteur.
FB : Et puis la finalité de ce travail en équipe, c’était dès le départ la volonté de faire des livres les plus honnêtement possible. Une bande dessinée c’est cher, nous voulions que les lecteurs en aient pour leur argent, que l’histoire les intéresse, qu’ils ne lisent pas un album en dix minutes, qu’ils puissent y revenir. Pour faire un livre de "qualité" de ce style-là, en travaillant sur une série de science-fiction par exemple, il faut être capable de créer un univers tant au niveau scénario que visuellement. Et aujourd’hui, si tu ne sais pas le faire, l’éditeur t’adjoint quelqu’un pour qu’il t’apprenne.
OV : Attention, c’était négocié ! Je pense qu’on peut dire que la série d’auteur, ce n’est pas incompatible. Des cinéastes comme Kurozawa, comme Sergio Leone ou même Cameron, plus récemment, sont pour moi de vrais auteurs avec de vraies thématiques ; sauf qu’ils font des films de série. Cameron, par exemple, travaille sur la même thématique dans Terminator et [i]Titanic[ /i] : l’humain dépassé par la technologie qu’il a mise en œuvre. Après, il a sa manière à lui de traiter ce thème, qui dépend de sa culture et c’est son choix. Nous, nous essayons de travailler un peu comme ça. Je pense que ce qui fait aussi la différence par rapport à d’autres structures éditoriales, c’est que nous sommes nous-
même auteurs. Dans un projet nous voyons tout de suite les potentiels, les problèmes éventuels, et surtout nous sommes capables de proposer d’éventuelles corrections. Alors que si nous étions juste éditeurs, l’auteur refuserait.
FB : C’est parfois difficile à accepter pour les gens qui commencent avec nous, mais je pense qu'ils comprennent ensuite l'intérêt de la chose. Le fait de travailler en équipe, quand on n’est pas "capables" au début de travailler seul sur un livre, permet de travailler très vite, d’avoir les outils pour maîtriser son travail et de raconter ensuite les histoires que l’on veut sans avoir l’équipe éditoriale sur le dos. Pour des gens comme Gess ou Damour, nous regardons le travail en cours mais n'intervenons quasiment plus sur leurs livres.
OV : Il est appréciable d’être tous capables de se remplacer. Si on regarde le cinéma des années 30 aux Etats-Unis, si un réalisateur tombait malade, le producteur était capable de prendre une caméra et de filmer un truc parce qu'il connaissait tous les postes de la chaîne.
FB : Le seul effet à éviter pour nous, c'était de faire des livres par procuration. Nous sommes un peu tombés dans le travers au début, mais c'était tellement enthousiasmant !
OV : Ce fut difficile. Au bout de 10 ans, on commence à être à peu près au point. L'autre jour lors d’une réunion avec Guy Delcourt pour lui présenter le bilan des 10 ans, il essayait de faire un organigramme des projets, de qui fait quoi, avec des petits carrés et des flèches : au bout d'un moment c'était illisible, on avait l'impression de voir des paramécies au microscope ! En même temps c'est un peu ce qu'on dit depuis le début : Série B c'est organique, une sorte d'usine à gaz mais qui n'explose pas (rires).
FB : Maintenant, il y a des gens qui interviennent sur le travail des autres, par exemple Damour intervient dans la nouvelle série d'Arcanes, Cassegrain travaille sur Carmen Mc Callum..., nous évoluons différemment de notre intention de départ. C'est bien de renouveler la collaboration avec des gens qui travaillent avec nous depuis 10 ans, on peut les mettre sur de nouveaux postes.
BDG : Entre directeurs de collection, est-ce que vous vous partagez les tâches ?
FB : Nous nous partageons les séries. Nous nous sommes aperçus qu'on ne peut pas être partout.
OV : Au début, c'était d'un côté une sorte de direction artistique et de l'autre quelque chose sur la narration, et puis à un moment il nous a fallu rationaliser tout ça.
FB : Nous sommes tous séparés géographiquement maintenant. Alors nous nous sommes partagé les titres en fonction des domiciles, tout bêtement, parce que l’on travaille mieux avec quelqu’un que l’on peut voir. De toutes façons, quand l'un s'occupe d’une série, l'autre est forcément au courant de ce qui se passe. Nous interagissons. Normalement, nous faisons au minimum un débriefing par jour.
OV : Série B ne pourrait pas exister telle quelle en ce moment si nous n’avions pas eu le net. Nous nous envoyons énormément d’images chaque jour ! Quand il a fallut refaire le logo de Tao Bang c'est comme si nous avions été dans la même pièce. FB : C'est vrai avec tout le monde : on nous envoie des fichiers, que ça soit du scénario, des story-boards, des pages... ça permet d'interagir très vite. Je me souviens quand nous avons acheté notre premier fax ! C'était hallucinant, et il y a 12 ans c'était révolutionnaire ! (rires). Il y a maintenant une instantanéité qu'il n'y avait pas il y a 5 ans. Ca renforce aussi la collaboration en réseau, c'est important. Par exemple c'est Schelle et Rosa qui font les couleurs de couverture d'Arcanes, à la base ça c'est fait parce qu'il y a eu du retard sur les couvertures et qu'ils étaient les seuls à pouvoir faire l'effet sur ordinateur souhaité. Je ne dis pas que c'est le postulat général, chacun a bien SA série, mais quand il faut donner un coup de main ou donner un avis, c'est le meilleur système.
BDG : La création de cross-over est très utilisée pour la télévision, ils sont très présents dans les séries B américaines (après l’avoir été dans les Comics Book). Leur utilisation dans la collection était-elle planifiée dès le début ?
FB : C'était un des principes de base. Nous en avons parlé avec Fred Duval pour Carmen. Après nous y avons pensé pour un univers comme Arcanes dont le postulat de base était intéressant. Au bout d'un moment, Jean Pierre Pécau nous a proposé une nouvelle série dont le thème est assez proche. La question était : n’est-ce pas plus intéressant pour un lecteur qui aime bien Arcanes d'avoir une seconde série qui sera complémentaire et qui lui donnera plus d'infos et plus d’albums dans l’année ? Il est vrai que la première réaction des lecteurs a été "c'est fait pour l’argent, on essaie de nous avoir...". Non, non, non ! Arcane Majeur aurait très bien pu être une série parallèle qui n’aurait rien eu avoir avec Arcanes, qui aurait eu un principe similaire et qui aurait raconté des histoires totalement différentes.
OV : Nous sommes en train de monter une "mini-série" Arcanes en 7 tomes qui s'appellera Histoire Secrète. Je me souviens que sur le tout premier Arcanes, Pécau m'avait envoyé un scénario et des notes avec un historique, des cartes etc. Je trouvais ça génial : ça partait de l'Egypte en passant par la Renaissance jusqu’à la récupération du système par la CIA. Au bout d'un moment je me suis dit que c'était trop compliqué comme principe. Quand il y a un univers aussi riche, il faut trouver un moyen d'injecter de l'historique via des flash-back.
FB : Nous n’allons pas faire ça en deux-temps trois mouvements. Les univers sont très riches, on ne peut pas tout raconter en 46 pages une fois par an. Si nous partageons en 2 ou 3 séries - mais c'est le maximum faisable – nous avons le moyen de décliner le thème et de faire des interconnections entre elles. Mais je pense que pour Arcanes, par exemple, le lecteur ne comprendra vraiment les interactions que dans un an, quand le tome 5 d'Arcanes et le tome 4 d'Arcane Majeur seront sortis, et que la mini série de 7 albums aura paru dans l'année.
BDG : De qui vient l'idée de ces séries parallèles ? Du ou des scénaristes ? Et si plusieurs auteurs travaillent sur un même univers, quelle est votre responsabilité dans la cohérence entre les séries ?
FB : Déjà il est impossible de dire "tu vas me faire ça , coco". Quand l'univers est riche, nous discutons déjà avec les scénaristes et parfois dans ces échanges se glisse "pourquoi n'exploites-tu pas telle idée?" Histoire secrète c'est venu comme ça, quand Jean Pierre Pécau est venu avec Arcane Majeur. Certains lecteurs qui disaient "ce système de cartes, il n’y a pas d'explications, le concept est sympa mais est-ce qu'il y a vraiment quelque chose derrière ça.... ?". Nous avons proposé à Jean Pierre de faire cette série en 7 livres assez rapidement pour donner des clés et montrer que le concept avait une raison d’être.
OV : En général, les auteurs font énormément de recherches. Fred Duval par exemple travaille avec des notices biographiques.. Il écrit ce qu'ont fait les personnages avant, s'ils se sont croisés etc. Les histoires courtes de Carmen & Travis, ce sont les notes biographiques qu'il prend pratiquement depuis 10 ans. Donc ça existe et ça permet de créer des petites histoires entre deux grosses histoires, ça crée une vie.
BDG : Mais ces séries auront-elles une fin ?
FB : Nous travaillons par cycle. Tant que les auteurs ont quelque chose à raconter, ils racontent. Si un jour ils n'ont plus rien - ils nous en parleront avant évidement - ils passeront à autre chose. Quand nous avons commencé, la volonté prioritaire des éditeurs était d'avoir des séries de 5 ou 6 albums minimum. Nous n’étions pas très tentés, déjà en tant que lecteurs car nous n'avions pas envie de suivre une histoire sur 5 - 6 ans. Depuis quelques années on commence à être écoutés et on part soit sur des one-shot, soit sur des cycles de trois albums maximum, afin que les auteurs ne se lassent pas et se renouvellent régulièrement. C'est pour ça que Fred Duval nous a proposé de faire dessiner un dernier cycle de Travis par une autre personne, parce que c’était une histoire parallèle qui se passait au même moment qu’un des albums.
OV : Une série comme Golden cup, qui peut paraître vue de l’extérieur comme quelque chose d’assez marketing, a en fait des bases très solides. Daniel Pecqueur a fait de la course automobile avant de faire de la BD. Depuis longtemps, nous tournions autour de l’idée de faire une BD sur la course automobile. Mais Graton fait déjà ça (Michel Vaillant), il a toute la documentation qu’il veut, il va sur les circuits, il fait ça bien mieux que nous. En y réfléchissant nous avons trouvé l’idée de travailler ça sur le principe du jeu vidéo, un peu SF, et puis de fil en aiguille pourquoi pas lier ça à Golden City qui sponsorise le truc. Il y a aussi un détail vraiment intéressant, c’est que le dessinateur qui se retrouve dans un projet comme ça bénéficie d’un meilleur contrat de la part de Delcourt qu’en démarrant une série à partir de zéro. C’est quelque chose auquel nous tenons, nous sommes contents si nos auteurs peuvent gagner leur croûte ! (rires)
FB : Il nous paraît impossible de pousser des auteurs à faire des albums qui ne se vendent pas. Comme les magazines ont disparu, il est difficile de faire des livres qui ne sortent pas sur le marché ! Vu que nous faisons de la BD grand public, autant faire du grand public "intelligent" ; c'est-à-dire raconter des histoires qui ont un intérêt et permettre à ceux qui travaillent avec nous de gagner leur vie normalement.
BDG : Le fait que vous ayez travaillé sur Star Wars, univers à la fois très riche et très contrôlé par la production, vous a-t-il été utile pour la cohérence de ces univers dans les séries communes ?
FB : On n’a pas de problème puisque, encore une fois, ça vient des auteurs. Je travaille avec Pécau sur l’univers d’Arcanes, il a tout établi dès le départ de la série et maintenant nous exploitons ce fond. Comme nous travaillons sur trois séries parallèles, je lui sers de garde-fou au niveau analytique.
OV : Ca dépend aussi de la personnalité des auteurs. Pecqueur ou Duval ont leurs notes, leurs classeurs etc. Pécau est plus instinctif dans sa manière de travailler...
FB : ...il est plus évolutif surtout. Il faut bien se dire qu’il a écrit sept albums en quinze mois pour les séries qu’il a en cours ! Vue la rapidité d’exécution de tout ça, si nous n’avions pas quelqu’un derrière lui pour jouer le rôle du secrétaire d’édition, nous avons toutes les chances de paumer des choses. Nous avons même établi un nouveau système : des relectures internes chez Delcourt. Olivier est en train de relire, Fred Duval aussi, histoire d’être sûr que tout est cohérent.
OV : Il est vrai qu’on a pu repiquer des trucs de notre propre perspective quand on a bossé sur Star Wars. Il y avait déjà une time-line établie dans les comics, on savait que chez Lucas il y avait une personne qui s’occupait uniquement de la continuité historique. Notre rôle maintenant, c’est qu’à l’arrivée ça coûte 13 euros et que les gens en aient pour leur argent.
FB : Nous sommes comme des tuteurs sur une plante, qui font qu’elle pousse bien droit et qu’elle a toutes les chances de faire de belles feuilles. Notre rôle, c’est de canaliser la poussée d’une série.
BDG : Vous arrive t-il de vous tourner sur le bilan de Série B ou ne pensez-vous qu’à vos projets ?
FB : Un bilan est obligatoire ! Parfois, nous y repensons : "tiens en 10 ans, voilà ce que nous avons fait"... mais c’est vrai que nous allons plus vers l’avant. Nous ne nous reposons pas sur nos lauriers, ça c’est certain.
OV : Maintenant il va falloir que nous commencions à nous intéresser aux aspects diffusion, marketing... pour avoir une vue d’ensemble, parce que c’est important. Ce sont des parties que nous avions "négligées" dans les 10 premières années, mais nous étions tellement menés par notre travail que nous n’avions pas le temps. C’est vrai que maintenant, le bilan permet de se dire "50 livres ! Un million d’albums ! Quand même !" (rires)
FB : Ca n’empêche pas de continuer en espérant que nous aurons autant de réussite dans les 10 ans qui viennent que dans les 10 ans passés, à une autre échelle parce qu’il faut continuer à faire croître l’idée générale de base.
BDG : qu’est ce que vous retenez du bilan que vous êtes en train de faire ?
OV : pour ma part je suis plutôt étonné. Nous étions tellement à avancer sans regarder derrière-nous... J’ai une étagère Série B à la maison, et chaque fois qu’un livre arrive je me dis que pour une histoire partie comme une sorte de pari un peu gag avec Delcourt, à l’arrivée on se retrouve avec une petite maison d’édition en interne, presque accidentellement. Mais en même temps nous avons toujours dit que nous allions y arriver, parce que dans notre tête c’était assez clair.
FB : Ca apporte quelque chose à tout le monde. C’est vrai qu’à l’époque Delcourt avait pris ça un peu à la rigolade, mais il nous a fait confiance, et c’était quelque chose qui n’existait pas ! Maintenant ça se développe : Trondheim crée une collection, Chauvel va s’occuper d’une collection, ... Série B a permis de tester une idée, et il se trouve que c’est tellement viable qu’elle se décline avec d’autres auteurs.
Et puis nous essayons de nous tenir un minimum au courant. Quand sont sorties les histoires courtes de Carmen & Travis, ça nous a valu des coups de bâtons très négatifs de la part de nos lecteurs, mais l’idée était d’essayer quelque chose qu’on n’avait jamais fait.
OV : Nous faisons aussi ça pour nous faire plaisir. Parce que pour le coup, les Arts Books, ça ne perd pas d’argent mais ça n’en gagne pas des masses non plus ! (rires). C’est sympa à faire : on prépare un Buchet...
BDG : Avec ces envies, vous allez pouvoir mettre en chantier des projets que vous n’aviez pas pu faire avant ?
FB : Les idées, ce n’est pas ce qui nous manque. Le tout est de voir si elles ont une chance d’avoir un accueil auprès du public.
OV : Nous savions très bien que les Arts Books avaient assez peu de chances, mais nous pensons qu’après 5 - 6 livres, peut être que le concept aura un peu plus de visibilité et qu’on pourra travailler ça pour qu’il soit un peu plus diffusé. Il faut être passionné pour avancer et des fois aussi se mettre des garde-fous.
BDG : Pour beaucoup d’auteurs, la BD est un travail en solitaire. Et pour vous ?
OV : il y a toujours un côté "l’herbe est plus verte dans le jardin du voisin". Quand je faisais de l’animation, j’avais envie de me retrouver tout seul à ma table à dessin pour faire mes propres croquis. Au bout de 2 - 3 mois tout seul à ma table à dessin, à passer des nuits blanches, je me disais que je ferais bien de l’animation pendant un mois ou deux parce qu’au bout d’un moment on craque, on n’écrit plus, on écoute de la musique...
FB : Le travail en solo je trouve ça masturbatoire. Ne serait-ce qu’en travaillant avec un dessinateur, un scénariste, on échange forcément des idées ! On n’est pas face à soi-même. Il y a des gens à qui ça suffit, ils veulent être reconnus comme auteurs avec un grand "A"...
OV : ...c’est bien, il peuvent bien voir les choses comme ça !
FB : ... oui, mais il y en a qui veulent être reconnus comme ça et qui ne sont pas capables de le faire ! Il y a quand même très peu de gens qui sont des auteurs complets. Même dans la finalité de la chose, je trouve toujours beaucoup plus intéressant d’échanger des idées autour d’un projet avec une personne ou deux. J’ai une façon de voir les choses qui n’est pas forcément la leur, en confrontant les idées et en ayant une discussion intelligente sur un projet on l’améliore forcément.
OV : C’est une démarche assez littéraire d’auteurs dont j’admire le travail comme Cosey ou JC Denis qui écrivent VRAIMENT pour ce qu’ils vont dessiner, ce sont des écrivains qui s’auto-servent dans le dessin. Mais la BD c’est quand même presque du cinéma figé. Il y a plein de dessinateurs très doués qui sont incapables de structurer une histoire.
FB : même un auteur complet qui fait des albums intéressants finira terme par creuser toujours le même sillon. Forcément, si on a des thèmes qui nous tiennent à coeur et personne pour les contrecarrer ou les remettre en question, on aura toujours tendance à tourner en rond. En équipe, à priori, je pense qu’il y a plus de possibilités d’évoluer dans un sens ou dans l’autre. A force de travailler ensemble, deux auteurs sont à égalité et font forcément tirer le thème à droite ou à gauche. Par exemple Christophe ne voulait pas situer le deuxième cycle de Travis dans l’espace. Ils ont discuté et ont fait une histoire sur le quart monde en France, qui prend complètement à contre-pied le premier cycle.
BDG : est-il arrivé que l’un de vous soit auteur sur une série et que l’autre, en tant que directeur de collection, dise "ça tu ne peux pas le faire" ?
FB : Nous nous montrons déjà les pages. C’est vrai qu’à un moment donné Olivier a trouvé les couleurs un peu extrémistes sur Karmatronics, il me l’a dit…
OV : ... et Fred n’en a pas tenu compte… (rires)
FB : Il est est vrai qu’entre nous deux y’a un peu match nul pour le coup.
OV : C’est assez bizarre. Mais nous avons tellement travaillé ensemble, presque fait de la BD à quatre mains…
FB : Nous sommes généralement d’accord à 95 % sur ce que nous faisons.
OV : les choix que Fred a eu sur les couleurs de certaines pages, je n’aurais pas fait ça comme ça. Mais il a continué à le faire. Sur mon western, il a pu me souffler deux-trois remarques, Parfois je l’écoute, d’autres non (rires). Mais finalement, depuis 10 ans, nous avons hypothéqué notre carrière d’auteurs. Fred a sorti un livre, je vais sortir le mien à la fin de l’année, et nous aurons fait un Star Wars, c’est à peu près tout en 10 ans ! Nous avons un peu fait de la BD par procuration, au début en tout cas.
Le fait que nous ayons envie d’y revenir, c’est que finalement nous savons mieux gérer l’investissement.
Un album aux couleurs chatoyantes...
FB : Et puis tout bêtement, travailler avec des gens apporte aussi beaucoup de choses. Si j’ai fait cet album c’est qu’à force de travailler sur leurs séries je me suis dit que c’était bien de raconter une histoire. Ca m’a redonné envie.
BDG : A t’on des chances de revoir un jour "Vatine / Blanchard" sur une même couverture ?
FB : Pourquoi pas ? Olivier va publier son western, après il va partir sur autre chose... Karmatroniks c’est un one shot, on peut en faire d’autres ou pas selon l’accueil du public. D’ailleurs, j’ai lu sur BDGest’ les réactions de gens qui pensent que c’était pour profiter du public. Encore une fois on s’est dit que ce personnage était intéressant, du moins son cheminement, ce qui l’a amené à faire ce qu’il fait dans le premier cycle. C’était raconter une histoire complémentaire de ce qu’on connaît déjà sur une autre série. Et je tiens à dire que si ça avait été un Donjon, tout le monde aurait trouvé ça génial ! (rires)
Angela - Olivier Vatine
BDG : Et ce Western ?
OV : ça s’appelle Angela, ce sera un 54 pages qui sort en fin d’année dans une petite édition limitée N&B parce qu’après je dois revenir sur les couleurs. Les couleurs sont faites mais je vais les reprendre sur ordinateur en post-production. L’album standard sortira en début d’année prochaine. Au départ c’était un album qui était prévu pour 1998, mais Série B nous a pris tellement de temps... Là Fred m’a dit "si tu ne le sors pas pour les 10 ans, t’es un gros looser" (rires)
FB : C’est bien de sortir un livre chacun pour les 10 ans. C’est une manière de montrer à ceux avec qui on travaille qu’on fait globalement la même chose. Symboliquement, c’est aussi dire merci aux auteurs qui travaillent avec nous et leur dire qu’on est comme eux.
OV : Au départ j’avais commencé à travailler sur ce western avec Pecqueur, dans l’idée d’aller le proposer à Victor De la Fuente, et puis il bossait sur autre chose. A l’époque je travaillais sur un projet de SF que j’essayais d’écrire tout seul, mais je n’avais pas trop digéré l’après Aquablue. Le western est ma filmographie préférée, je me suis dit "allez faut que j’en fasse au moins un dans ma vie". Et le voilà, 8 ans plus tard ! (rires)
BDG : prochain album pour les 20 ans ?
FB : ah non, avant !
OV : Fred va peut être faire un deuxième Karmatronics, et j’ai un ou deux projets que j’aimerais bien faire tout seul pour le coup, parce que je n’ai pas envie de prendre le risque de faire attendre mes collaborateurs. Et j’aimerais mettre en œuvre ce que j’ai appris à faire sur ordinateur dans l’illustration, faire un système de production assez rapide et instinctif. C’est un métier où il faut être curieux. Des auteurs complets, comme Franquin ou Giraud, ont toujours été curieux… pourvu que ça nous arrive ! (rires)
FB : Nous sommes toujours à l’affût de ce qui se fait, y compris dans le comics ou le manga. Ce sont les auteurs qui nous donnent envie de faire des choses, c’est vachement bien !
Interview réalisée par Christophe Steffan