Deux mois après la fin d’Okko, vous vous retrouvez au festival d’Angoulême. Vous devez avoir un emploi du temps chargé ! (sourire)
Hub : Je dédicace beaucoup de bouquins de luxe, puis on me demande de passer sur les stands pour aider à les vendre. Je n’arrête pas. C’est intéressant mais ça prend beaucoup de temps.
Un artbook est également sorti récemment…H. : Oui mais pour les éditions Delcourt, ça reste dans la famille. Le reste, ça concerne BDMust, des sérigraphies, des affiches… Il y a aussi le jeu des dédicaces… Tout ça est chronophage.
Cela vous laisse un peu de temps pour continuer à supporter Charbofoot ?H. : Mais je joue à Charbofoot ! Et je vais justement manquer le match de samedi et c’est un drame pour moi, comme toutes les fois où je pars en dédicaces et que je fais une entorse à ce rendez-vous hebdomadaire.
Quel est votre sentiment pour
Okko aujourd’hui ? La satisfaction d’avoir bouclé une série de longue haleine, ou la nostalgie de quitter des personnages qui vous ont suivi pendant des années ?
H. : Je suis plutôt serein. Je ne ressens pas trop de nostalgie. J’ai fait énormément de produis dérivés jusqu’à présent. J’ai fini mon dernier album au mois d’août et il y a encore une semaine je travaillais encore sur des produis liés à
Okko. C’est une façon de continuer à faire vivre en parallèle mes personnages. J’ai aussi d’autres envies profondément ancrées en moi de raconter d’autres récits, j’avais donc vraiment besoin de faire une pause. Je suis très heureux du parcours qu’on a réalisé ensemble avec ces personnages qui me tiennent vraiment à cœur.
Dix ans - dix albums, c’est un vrai rythme de métronome ! (sourire) Comment avez-vous organisé votre travail ?
H. : Sans connaître toutes les arcanes d’un succès dans une série, je me doutais que la régularité était un paramètre important. Les lecteurs, dans notre monde moderne, sont de moins en moins patients. Cette régularité était importante à la fois pour eux et pour moi. J’avais besoin de devoir faire des histoires de façon régulière, de cette sorte de marathon. Cela m’a demandé une grosse discipline de travail. J’écrivais le scénario très vite mais la conception graphique durait en moyenne sept à huit mois. Si on rajoute à ça le temps passé sur les produits dérivés, environ deux à trois mois, plus les tournées… Je n’avais pratiquement pas de vacances, ni de répit. C’est maintenant que je vais pouvoir un peu en profiter.
Quelle est votre regard sur cette nouvelle exigence des lecteurs et la réponse des éditeurs avec notamment l’apparition de séries concept ?H. : Je n’ai pas une grande connaissance du marché. Je réagis beaucoup à l’instinct et j’avais bien conscience du rythme que je devais insuffler à la série.
Faire vieillir un héros, notamment physiquement, n’est pas très courant en bande dessinée…H. : Effectivement. Okko est un personnage qui vieillit et qui a perdu également certains attributs, je pense à sa main. Je voulais aussi que le lecteur se rende compte que j’avais un peu mystifié le héros. Ce rônin donne le nom à la série, il est sans doute charismatique mais le plus charismatique est pour moi Noburo. Mais Okko est le leader, un leader que l’on sent dès le début très dur. Plus la série avance, plus on s’aperçoit qu’il a une part d’ombre. Je voulais aussi m’amuser avec les codes du héros. Okko n’est pas un héros classique même s’il en a parfois l’étoffe. Dès qu’on gratte un peu, il a une charge très lourde. On s’aperçoit aussi qu’il est un oiseau de malheur pour tous les autres personnages qu’il croise sur sa route. Beaucoup de ces personnages vont avoir une destinée tragique. Quand un héros intervient pour changer le monde, souvent il le bonifie. Okko, lui, n’amène pas forcément du positif. Je voulais un récit tout sauf manichéen.
La perte de la main n’a-t-elle pas choqué certains lecteurs ? H. : Moi-même j’ai été choqué ! Je ne l’ai pas fait par sadisme ou par plaisir. Mais ça me semblait important dans le récit. Cela fait suite à un combat de légende qu’Okko mène contre Kubban, un duelliste hors norme. On a tout d’abord l’impression qu’Okko s’est fait décapiter mais c’était le récit de quelqu’un. Ces bruits colportés m’amusaient beaucoup. Finalement, il s’en sort plutôt bien puisqu’il n’a « que » l’avant-bras coupé. À l’époque des samouraïs, il y avait énormément de gens estropiés qui perdaient un membre. Les katanas étaient extrêmement aiguisés. C’est d’ailleurs pour ça que toutes les scènes de combat avec des sabres sont assez rapides dans
Okko. Je ne voulais pas faire de la surenchère mais faire monter rapidement la tension et régler l’affaire très vite, d’un côté ou de l’autre.
Si on imagine volontiers les quatre éléments - eau, vent, terre, feu - comment pouvez-vous définir celui du vide ? Quelle est sa place dans la culture japonaise ? H. : Dans la civilisation japonaise, le vide est omniprésent, ne serait-ce que graphiquement. L’esthétique japonaise n’est jamais surchargée. Ils estiment justement que le vide permet au « plein » d’exister. La cérémonie du thé fait par exemple appel au vide. Les samouraïs, quand ils combattaient, avaient besoin de faire le vide pour avoir une forme de sérénité et chasser la peur. Dans les cimetières japonais, il y a des petits autels composés de cinq pierres, les quatre premières étant les éléments que l’on connaît, la cinquième étant le vide. Si mon esprit d’occidental a tout bien compris, cette dernière pierre permet d’éviter la réincarnation, qui serait une forme de malédiction, pour enfin atteindre le paradis. Je me suis aussi servi du Cycle du Vide pour dévoiler le passé d’Okko qui explique énormément de choses sur lui. Le vide représente aussi l’absence de sa mère.
Terminer la série par ce cycle était donc une évidence…H. : Oui. Dès que j’ai commencé la série, je souhaitais un diptyque par cycle et finir par celui du Vide. Je trouvais que ça avait de la gueule. J’espérais que cette série ait suffisamment de succès pour que mon éditeur me le permette, sinon je pense qu’on aurait eu le Vide juste après le premier cycle. (sourire)
La culture japonaise étant assez méconnue, pensez-vous avoir donné goût à certains lecteurs de s’y pencher ?
H. : Je ne sais pas, j’espère. J’ai vraiment voulu me faire plaisir… C’est effectivement une invitation au voyage. J’imagine que certains lecteurs vont creuser derrière par eux-mêmes, aller voir ce qu’il en est de cette époque des samouraïs. Je pense aussi qu’Okko est lue par pas mal de lecteurs aguerris qui aiment déjà le Japon. Je voulais que mon récit puisse s’adresser au maximum de personnes, ouvre le maximum de portes pour que même des gens qui n’ont pas spécialement d’attirance pour le Japon puissent tenter la lecture. J’ai fait Okko avec un regard d’occidental et je l'assume complètement. J’ai essayé de ne pas trop codifier le récit pour le rendre le plus accessible possible. L’ère des samouraïs est un puits sans fond. Il y avait, il y a quelques années, une magnifique collection d’armures de samouraïs exposée au Quai Branly. Il faut savoir que telle pièce a tel nom parce qu’elle vient de telle région à telle époque… Il en est de même pour les nœuds qui changent sans arrêt de place… Sachant que tout ça était très complexe, c’est l’une des raisons qui m’ont poussé à introduire une part de fantastique dans l’histoire. L’autre raison est que j’adore ça, ça fait aussi partie de mon ADN.
Quelles ont été vos sources de documentation ?
H. : Internet, des livres, beaucoup de choses… C’est assez facile de nos jours de se documenter. Mais ce n’est pas pour autant que l’on va faire un récit parfaitement juste. Je voulais avoir la liberté de raconter l’histoire comme je le voulais.
Okko n’est pas ménagé mais les autres personnages ne sont pas en reste : un moine alcoolique, un voleur repenti…H. : Je considère qu’on s’emmerde rapidement avec les personnages lisses. Un personnage avec plein de perversions est forcément plus intéressant. Après, tout est question de dosage et de narration. Je suis plus attiré par les personnages qui ont des aspérités, des faiblesses. Ça me permet de les ancrer dans la réalité et de raconter plus facilement des histoires avec eux. Il en est de même avec leurs opposants ou leurs adversaires. Souvent, ils peuvent être au début antipathique puis à force de gratter on comprend aussi certains moteurs… Je pense au premier cycle, celui de l’Eau, et au couple de Pennagolans. Ils semblent au début très cruels mais ils ont en réalité besoin de cette forme de cruauté pour pouvoir survivre.
Finalement, le seul personnage qui conserve sa ligne de conduite droite et fidèle est Noburo…H. : Complètement. Lui aussi a plusieurs faiblesses. Il a tous les attributs du super héros avec son masque qui cache son visage. Il est aimé des femmes, lui-même ne sait pas trop pourquoi… (sourire) Noburo est droit dans ses bottes depuis le début mais il est psychologiquement faible, comparé à Okko. Ce n’est pas un leader. Okko a un ascendant sur le reste du groupe, il martyrise un peu Noshin, il a peu de compassion avec Noburo alors que lorsqu’on connaît la fin du récit… Mais Noburo seul ne serait peut-être pas un personnage aussi intéressant que ça.
Il y a un joli paradoxe entre son aspect physique et sa droiture d’esprit…H. : Clairement. Entre cette force qu’il dégage et cette faiblesse qu’il a en lui, il y a un énorme paradoxe.
Vous êtes passé depuis le Cycle du Feu à un format de 62 planches au lieu de 46. Celui-ci vous convient-il mieux, permet-il plus de latitudes dans la narration ?H. : Oui. J’avais déjà demandé un format de 54 planches pour le Cycle de la Terre, le quatrième tome de la série. Pour les quatre derniers albums, j’avais effectivement besoin de plus de place. Le Cycle du Feu abordait un mariage politique, c’était assez ambitieux. Il y avait beaucoup de personnages, beaucoup de clans, beaucoup d’invités. Pour pouvoir aborder tout ça et faire monter la pression petit à petit, j’avais besoin de ce format-là. Je me sentais beaucoup plus à l’aise. Plus ça va, plus j’ai besoin de place. Sur le dernier tome, j’étais à la limite du possible pour pouvoir boucler, cela a été compliqué de trouver le bon équilibre pour que tout s’agence correctement. Je trouve que 46 planches c’est vraiment très court, ce qui oblige à recourir un peu trop à l’ellipse.
Avez-vous perçu une évolution graphique entre le premier et de dernier tome d’Okko ?H. : Je l’ai senti, et en même temps, je ne voulais pas faire n’importe quoi, que ça explose n’importe comment. Je voulais conserver une certaine forme de cohérence. Bien sûr, mes personnages changent un peu mais sans tout bouleverser du jour au lendemain. Je voulais une évolution mais pas une révolution. Je m’étais dit que quitte à vouloir changer complètement de style, je devais attendre la fin de la série, ce qui ne sera pas finalement forcément le cas pour mon prochain projet. Il est vrai aussi que plus j’avançais dans
Okko, plus je maîtrisais le lexique, toutes les spécificités graphiques propre au récit.
Cela vous a permis de travailler plus vite ?H. : Plus vite mais aussi de façon plus juste. Cela m’a aussi permis d’être encore plus exigeant au niveau de la narration, qu’elle soit plus pertinente et plus aboutie. Ce qui m’intéresse aussi dans la bande dessinée, au-delà du graphisme et de la narration, c’est de se « challenger » constamment. Le jour où on a l’impression que c’est vraiment facile, on s’emmerde.
Okko change régulièrement de coupe de cheveux. Les changements capillaires étaient-ils un vrai casse-tête ?H. : Il change aussi souvent de kimono. J’avais envie de l’habiller et de le présenter de différentes façons. Suivant les lieux, il est obligé de se vêtir de façon plus ou moins chaude. Quand il est jeune, il a les cheveux longs, un peu comme un adolescent qui se cherche : il a un chignon avec son père, puis il se le coupe, il a des cheveux longs, puis des rouflaquettes… Effectivement, toutes les deux-trois pages, il changeait de coupe de cheveux quand j’ai évoqué sa jeunesse (sourire). Ces changements me permettaient aussi de symboliser le temps qui passait.
Les cheveux ont une importance particulière dans le récit. Un samouraï qui coupe son chignon, c’est tout un symbole…H. : Oui. Le chignon représentait l’âme. Un samouraï qui portait un casque portait une natte pour représenter son âme. Quand on coupait ce chignon, on n’était plus un samouraï et on prenait sa retraite, c’est une sorte de petite mort. Le fait qu’Okko se retire ainsi, prenne cette retraite était pour moi très symbolique. C’était une façon de le faire mourir sans qu’il ne meure vraiment, un bon compromis.
Il est noté sur le quatrième de couverture « Cycle Complet », ce qui laisse suggérer peut-être un nouveau cycle. Okko, c’est vraiment fini ?H. : Je ne referme jamais complètement les portes. Pour l’instant, c’est vraiment fini pendant un bon bout de temps. Je n’avais pas fait attention à cette mention. Moi, j’ai écrit sur la dernière planche le mot « fin ». Peut-être, un jour, je reprendrai mon bâton de pèlerin, je n’ai pas l’impression d’avoir tout dit. (sourire) Pour l’heure, la source s’est un peu tarie.
Après plus de dix années passées sur Okko, êtes-vous prêt à vous lancer de nouveau dans une longue série de ce type ?H. : Non. Le prochain projet que j’ai ne sera pas vraiment une série mais plutôt une suite d’albums avec une plus grosse pagination. Cette série devrait prendre la moitié du temps que celui que j’ai pris pour
Okko, soit à peu près cinq ans.
Vous avez dit que vous auriez du mal à dessiner un album dont vous n’avez pas signé le scénario ? Est-ce toujours le cas ? Pour quelles raisons ?H. : Oui. Je suis vraiment venu dans la bande dessinée pour raconter des histoires. Cette envie était omniprésente et c’est ce qui me passionne. Ensuite, je mets ces histoires en dessin par facilité.
C’est la raison d’Aslak ?H. : Oui. D’où la collaboration avec Fred Weytens sur le scénario d’Aslak. C’est une belle expérience qui me sert d’équilibre.
Et concernant ce nouveau projet ?H. : Je suis en train de l’écrire. Je pensais au départ écrire une histoire pour quelqu’un d’autre. Et plus ce projet prenait corps, plus je me disais que je devais m’y coller au dessin. C’est un univers complètement différent de celui d’
Okko et ça m’a d’ailleurs fait au départ un peu peur.