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Mermaid Project - Demain les dauphins

24/06/2013 15 planches

Quand la scénariste des Filles d’Aphrodite et le créateur des Mondes d’Aldébaran se rencontrent, le fruit de leur collaboration possède forcément une saveur particulière : une héroïne au caractère bien trempé évoluant dans un monde dont les ressources naturelles s’épuisent, sans oublier un bestiaire, certes limité mais étonnant, les thèmes chers à Corine Jamar et à Leo se confondent et s’unissent dans Mermaid Project. À l’occasion de la sortie du deuxième tome, Fred Simon s’est joint à eux pour répondre à quelques questions.

Comment est né Mermaid Project ? Existait-il un roman en préparation ou l’histoire a-t-elle été écrite spécialement pour les besoins de la bande dessinée ?

Léo : L’histoire a été créée directement pour être une BD et spécifiquement pour être écrite avec Corine.

Corine Jamar : Effectivement, un roman est peut-être à la base de ce projet mais pas dans le sens où vous l’entendez : Léo et sa femme Isabel avaient aimé mon premier roman et l’ont adapté pour le théâtre. Léo m’a alors demandé si cela m’intéressait d’écrire un scénario avec lui. Inutile de vous dire que j’ai fait des bonds plus importants que ceux qu’un dauphin fait dans l’eau. Si le futur lointain m’intéresse en tant que lectrice, je sais qu’en tant que créatrice, je suis plus à même de fabriquer des histoires qui s’ancrent dans une réalité que je peux appréhender. Léo, lui, aime beaucoup se projeter dans l’inconnu et l’explorer… Nous avons, en quelque sorte, coupé la poire en deux ! (sourire) Au fil de nos discussions, le monde de Mermaid Project a émergé….

Le scénario s’écrit-il intégralement à quatre mains ou certaines tâches sont-elles dédiées particulièrement à l’un d’entre vous (découpage, dialogues…) ?

L. : Il n’y a pas de règle fixe. On peut dire que le départ est toujours une réunion entre Corine et moi (en général autour d’une bonne table dans un resto calme) où on lance les premières idées en toute liberté et où on essaye d’arriver à un fil conducteur un peu structuré. C’est une partie fascinante du processus de création, où nos deux imaginaires – forcément différents – se mêlent et donnent lieu à un récit qu'aucun de nous deux aurait réussi à écrire tout seul. Après cette étape – où on prend des notes, évidemment – on fait des résumés, on avance un premier jet du découpage, etc, dans un ping-pong par mail. À la fin on fait une autre réunion pour régler tous les détails.

C.J. : C'est ça, il n’y a pas de règles. D’abord on discute et, en même temps, on prend des notes. L’un ou l’autre les met en forme et les envoie à l’autre. Sur cette base là, l’un ou l’autre propose un premier jet. Ça peut être moi, ça peut être Léo. Ça peut être un synopsis ou, directement, un découpage rough. Personnellement, j’ai d’abord besoin de passer par un narratif et puis après, un découpage rough. En général, Léo et moi nous accordons sur le début, sur la façon dont va démarrer le récit du tome sur lequel on travaille. Ce qui serait drôle, c’est un jour de décider de démarrer tous les deux en même temps et puis, de confronter ce qu’on a fait… Mais, jusqu’à présent, c’est plutôt la méthode ping-pong. Ensuite, il y a les préférences de chacun : j’aime énormément m’attarder sur les dialogues, je peux y passer des semaines, laisser reposer, revenir dessus. J’ai parfois tendance à vouloir privilégier une scène entre Romane et El Malik par exemple, au détriment de l’efficacité du scénario, scénario que Léo, lui, ne perd jamais de vue. Ça peut arriver qu’on ne soit pas d’accord sur un truc, alors nos joutes deviennent très stimulantes, elles nous permettent de nous remettre en question et d’aller plus loin.

Comme dans Les Mondes d’Aldébaran, c’est une héroïne qui est au centre du récit de Mermaid Project. Et comme chez Kim, l’apparente force de caractère de Romane cache une vraie fragilité. Pour quelles raisons choisir un personnage principal féminin plutôt que masculin ? 

L. : C’est mon côté féministe : il y a déjà assez de BDs où le héros est un homme… Mais dans le cas de Mermaid Project, l’héroïne est une femme à cause de ma collaboration avec Corine. Dans ses livres, elle crée des femmes à la personnalité très attachante, très humaines, très fortes. C’est justement cette habileté, ce talent de Corine qui m’a donné l’idée de lui proposer d’écrire un scénario à quatre mains. Le personnage principal ne pourrait donc qu’être une femme.

C.J. : C'est vrai, les deux personnages principaux de la trilogie BD Les Filles d’Aphrodite (dessin André Taymans, parus chez Glénat) sont des femmes et dans mes romans ou nouvelles, aussi. 

Le monde décrit dans Mermaid Project est plausible. Est-ce vraiment celui que vous imaginez dans 200 ou 300 ans ? 

L. : Pas forcément. Ce serait un peu prétentieux de vouloir prévoir le futur comme ça. Mais c’est une des évolutions possibles. En tout cas, Corine et moi avons fait un effort pour imaginer quelque chose de plausible, de réaliste, à partir des données actuelles.

C.J. : Il est plausible. Quant à savoir si je crois, pour du vrai, que les choses se passeront comme ça, non, pas nécessairement, c’est une possibilité parmi d’autres. 

Dans ce monde, ce sont les populations du Sud qui ont pris le pouvoir à la place des occidentaux. On s’étonne presque de voir Dorrington, un homme blanc, à la tête d’Algapower…

L. : Justement, les blancs sont à cette époque méprisés, victimes de racisme, et notre Dorrington est un méchant personnage qui veut se venger, qui veut que l’ordre ancienne revienne. C’est le prototype du réactionnaire revanchard.

C.J. : Tout n’est pas tout blanc ni tout noir ! Même si le rapport de force a changé en faveur du sud et des populations qui, jadis, émigrèrent en occident, il reste des « poches » de résistance. Dorrington et sa clique sont un peu les descendants du fameux Tea Party américain.

Comment avez-vous trouvé le juste équilibre entre scènes d’action, résolution des mystères et approfondissement des différents personnages ?

L. : La recherche de cet équilibre est la base d’un scénario. On s’efforce d’y arriver. Il y a un côté technique, il y a une dose d’expérience et il y a cette partie plus incertaine qu’est l’inspiration. C’est un processus passionnant. Écrire des scénarios c’est une activité qui me plait énormément.

C.J. : Quand on démarre le récit, on sait, parce qu’on est dans une BD, qu’il faut respecter un certain rythme. Mon cerveau se met en mode BD automatiquement. C’est différent dans un roman où, pour utiliser une métaphore équestre, je laisse les brides plus longues sur l’encolure du cheval et le laisse folâtrer à gauche à droite pour, après, le reprendre en main. Les deux façons de travailler sont très, très différentes et c’est sans doute pour ça que j’aime autant la BD que le roman, c’est super de passer de l’un à l’autre. Quant aux personnages, Léo et moi les avons définis bien en amont. Autant on découvre l’aventure qu’ils vivent en travaillant dessus, autant eux, on sait où on veut les faire aller, sentimentalement, psychologiquement parlant. Romane est fragile parce qu’elle a été victime de discrimination dès son plus jeune âge en tant que blanche, blonde etc. Elle a grandi dans un orphelinat et… tiens, comme c’est curieux, l’héroïne principale des Filles d’Aphrodite aussi !

La dernière partie du deuxième tome montre quelques images du Brésil où une partie de l’histoire va visiblement se dérouler. Léo, ce clin d’œil à votre pays de naissance vous tenait-t-il à cœur ?

L. : Il nous fallait un pays aujourd’hui émergeant qui, dans le futur, serait un pays du premier monde. Le Brésil en fait partie, et le fait que je connaisse personnellement les endroits où se déroule une partie du récit, ça aide, ça facilite les choses. Et puis, le Brésil et surtout Rio sont très esthétiques !

Comment avez-vous choisi Fred Simon ? Recherchiez-vous un style graphique particulier ?

L. : Il nous fallait un dessinateur très fort pour les décors, les ambiances, car il fallait transmettre au lecteur ce monde du futur très différent du nôtre. Mais il fallait aussi un dessinateur qui sache faire passer les émotions des personnages avec subtilité, car c’est un côté important de notre récit. Et cela, même dans des cases muettes, ce qui est toujours difficile en BD. Fred avait ces qualités et bien d’autres, comme son style très personnel et très fort. Son dessin non réaliste rajoute un côté disons poétique à l’ensemble. Cela a valu la peine d’attendre un an qu’il finisse l’album qu’il était en train de faire à l’époque !

C.J. : Nous cherchions aussi un dessinateur qui ait de la personnalité et un trait super pêchu. En même temps, il fallait un dessinateur qui sache traduire graphiquement et avec une grande justesse les émotions car notre Romane est hyper sensible. N’oublions pas que Romane et Malik ont une relation ambigüe où se mêlent le rapport hiérarchique, la frustration, le respect et, peu à peu, le sentiment amoureux. Les décors sont très importants aussi puisque nous transformons une réalité géographique dans laquelle tout un chacun vit.

Fred, lorsque Dargaud vous a proposé le projet « Mermaid », quelle a été votre première réaction ?

Fred Simon : J'étais très content, évidemment ! Je travaillais depuis dix-huit ans avec David Chauvel pour les éditions Delcourt alors là ,c'était l'aventure !! J'étais aussi embêté car je commençais l'adaptation de L'appel de la forêt ; Corine et Léo ont dû attendre un an avant que je ne commence les planches de Mermaid Project, merci à eux ...

Vous êtes l’un des rares représentants d’un certain classicisme, notamment en termes de détails, de clarté des mises en scène ou de rigueur alors que la tendance va plutôt du côté de l’épure ou du mélange de codes (comics – manga – franco-belge). Est-ce plutôt un avantage ou un inconvénient quand vous présentez un projet à un éditeur ?

F.S. : C'est ma façon de dessiner, impossible de changer de style pour faire des trucs à la mode, réalistes, ou je ne sais quoi, alors avantage ou inconvénient… Jusque là, ça va. Pour ce qui est des détails, ce n'est pas forcément très malin, ça prend un temps fou, mais quand je suis sur ma planche, je ne calcule pas... J'aime faire des pages pleines de détails qui se lisent facilement, ça peut donner envie au lecteur de revenir regarder les dessins…

Comment travaillez-vous graphiquement ? Sur quels supports ?

F.S. : Je travaille de façon assez classique avec l'aide de l'informatique : je scanne mes découpages et je les imprime en bleu pour les dessiner puis je recommence pour les encrer. Je travaille à l'encre et à la gouache en couleur directe pour les couvertures. C'est mon frère, Jean-Luc, qui s'occupe de la mise en couleur des pages sur ce projet .

Avez-vous déjà une idée précise du nombre de tomes de Mermaid Project ?

L. : Cinq tomes.

Peut-on imaginer un développement de ce monde dans d’autres cycles, à la manière des Mondes d’Aldébaran ?

L. : Pourquoi pas ? Mais c’est prématuré. D’ici la fin de ce cycle beaucoup de temps aura passé. Difficile de prévoir quelles seront nos envies respectives à ce moment-là. Si j’étais obligé de donner une réponse là, tout de suite, je dirai oui, on continue, bien sûr, car j’ai un grand plaisir en travailler sur cette série !

Proposer à un éditeur une série d’anticipation qui nécessite un nombre élevé de tomes, c’est quelque chose qui devient de plus en plus difficile ?

L. : Moi, je ne ressens pas cette difficulté, mais mon cas est particulier parce que je suis déjà auteur d’une série qui marche bien. Pour un jeune qui commence, ça doit être effectivement plus compliqué, mais un éditeur saurait répondre à cette question plus concrètement.

Léo, vous reconnaissez-vous dans le terme d’ « auteur écologiste » ?

L. : Pas forcément, non. En tout cas je n’ai rien fait de façon consciente ou planifiée pour défendre des idées écologistes. Ceci dit, tout être sensé et avec un minimum de conscience ne peut que défendre certains principes de protection de la nature, des animaux, des ressources naturelles. Je ne trouve pas que je fasse plus que d’autres.

Quels sont vos projets à tous les trois ?

L. : Pour le moment, mes projets se résument en continuer les diverses séries dont je participe en tant que dessinateur, coloriste, scénariste. Cela consomme tout mon temps !

C.J. : Des projets ? Écrire, écrire, encore écrire… Et espérer se faire éditer ! (sourire)

F.S. : Nous avons encore pas mal de travail sur cette série, et après ... peut-être un album en solo à moins qu'une autre aventure ne se présente ...


Propos recueillis par Laurent Gianati et David Baran

Informations sur l'album

Mermaid Project
2. Épisode 2

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