INTERVIEW DE VALERIE MANGIN ET DENIS BAJRAM
Combien de temps avez-vous joué au Boneto avec les cases de Trois Christs ?
Valérie Mangin : Ça a été très long. Je crois que j’ai mis 6 ou 7 mois pour écrire le scénario, pour le vérifier, pour le revérifier, pour installer toutes les pièces du puzzle afin que tout fonctionne. Quand on était à Bruxelles, on avait une très grande table dans la cuisine et je me suis amusée à étaler toutes mes pages de scénario, de documentation, et les personnages pour voir que tout fonctionnait bien. C’est un véritable défi scénaristique. Le fait que ce bouquin existe est déjà une réussite.
L'attente a été longue mais livre en main, l'envie de plonger tête baissée dans Trois Christs est grande. Soudain, on tombe sur les multiples renvois présents au début des trois histoires. Et on se dit que finalement il faudra plusieurs lectures pour vraiment apprécier l’album…
VM : Il faut d’abord le lire comme un album « normal » avec trois histoires humaines très fortes.
Denis Bajram : Comme un Thorgal, finalement.
VM : Puis, c’est quand il y aura une impression de déjà-vu des cases, des textes, qu’il faudra peut-être revenir aux notes pour vérifier que c’est bien ça. Je pense qu’il y a déjà une première lecture simple à faire, le jeu entre les cases venant après une seconde lecture.
DB : Le « déjà-vu », c’est surtout un moyen de dire qu’avec les mêmes matériaux, les mêmes scènes, les mêmes événements, on peut raconter tout et n’importe quoi, et aussi son contraire. Le but du bouquin est de mettre en garde contre une lecture strictement religieuse, historique ou ésotérique des événements.
VM : C’est ça. Les débuts de chapitre servent avant tout à attirer l’attention sur le jeu. J’imagine mal quelqu’un s’amuser à reprendre note par note pour tout vérifier.
Une des trois histoires a-t-elle été finalisée en premier ?
VM : Le synopsis des trois histoires ont été écrits indépendamment. Ensuite, j’ai écrit le texte, l’histoire et le découpage de la première histoire puis j’ai écrit la deuxième en essayant de reprendre le maximum de choses de la première. Idem pour la troisième. Écrire la deuxième par rapport à la première a été relativement facile. La troisième par rapport aux deux premières, ça a été l’enfer. (rires).
À la lecture, on a l’impression d’avoir la thèse, l’antithèse, et quelque chose de complètement différent…
VM : Les trois histoires sont complètement différentes. On a essayé d’inclure la première dans un monde merveilleux chrétien.
DB : D’après Todorov, le fantastique est soit permanent : le monde est alors merveilleux. Soit surgissant : le monde est alors normal - mais aux bords existent des angoisses, celle du Diable en l’occurrence dans la deuxième histoire, même s’il n’intervient jamais. Soit il est absurde, et c’est alors Kafka. La troisième histoire est volontairement absurde, des éléments viennent de partout, sont mis ensemble en les faisant tenir, alors que fondamentalement, il n’y a aucune raison qu’ils tiennent ensemble. Ça a été très difficile pour Valérie de faire une histoire qui se tient alors que c’est franchement n’importe quoi en terme d'argumentaire. Ce sont vraiment ces trois distinctions du fantastique que l’on retrouve dans le bouquin. Le but était de ne pas faire que deux histoires, ce qui aurait pu faire thèse et antithèse. La synthèse aurait été très lourde du style « Alors Dieu existe mais pas vraiment… ». Ce n’était pas possible. Avec deux histoires, les gens auraient pu aussi prendre parti.
VM : Le but n’était pas de dire si le suaire était authentique ou pas. C’était d’ouvrir la discussion autour d’un objet très controversé en prouvant qu’avec le même matériel on pouvait raconter des histoires complètement différentes et donc d’inciter à toujours prendre du recul par rapport à ce qu’on lit ou ce qu’on voit. On a eu l’idée de cet album avec Denis au moment où le Da Vinci Code est sorti. Il était présenté par Dan Brown comme une fiction mais beaucoup de ses lecteurs l’ont pris au pied de la lettre.
DB : La théorie du complot…
VM : "L’Église nous ment depuis 2000 ans, le Christ avait des enfants…" C’est curieux car, dans son livre, il reprochait aux gens d’avoir cru l’Église depuis tout ce temps et eux, tout d’un coup, se mettaient à croire au roman de la même manière. On a vraiment voulu écrire une histoire dans laquelle le Saint-Suaire est réellement celui du Christ ressuscité : Dieu existe et on est dans le miracle, dans la catégorie du merveilleux dont parlait Denis ; puis faire une seconde histoire dans laquelle Dieu n’existe pas, le Saint Suaire est un faux, dans laquelle je propose une manière de le fabriquer même si je ne suis pas sûre du résultat. Dans la troisième, je propose une autre façon encore de le réaliser, avec des Templiers, des pierres radioactives, des monstres à deux têtes…
DB : Ce qui est drôle dans cette histoire, c’est que des gens s’accrochent aussi fortement à trouver des arguments pour sauver le Saint-Suaire alors que si c’est un faux, qu’est-ce que ça change finalement à l’existence du Christ ? Sur un plan personnel, nous sommes des athées, des rationalistes, Valérie est historienne. Tel qu’elle le présente, on voit assez bien que tout est réuni pour que ce soit un faux médiéval qui a été fait à cette époque là. De façon pragmatique, c’est sans doute la réponse la plus simple, mais on n’a surtout pas voulu dire que c’était LA réponse. De fait, si Dieu existe, tout est possible et l’histoire alors s’écroule.
Avez-vous dû renoncer à certaines cases, certains éléments de dialogue pour que tout s’agence convenablement ?
VM : Immanquablement. Ce n’est pas un puzzle totalement parfait.
DB : Faire ces trois histoires avec exactement les mêmes textes et les mêmes cases, ce ne serait pas possible. Par exemple, les images vertes représentant la radioactivité dans la troisième histoire seraient tombées à l’eau dans les deux premières. C’était peut-être faisable mais en sacrifiant le côté "Grand public" du livre.
VM : Je ne voulais pas faire un objet purement conceptuel non plus, tout sacrifier à la forme. Je voulais que l’histoire continue à se tenir et à raconter quelque chose.
DB : Le but est que le lecteur moyen plonge là-dedans et découvre que la bande dessinée peut être très sophistiquée. Un peu comme le film Amadeus qui ne fait pas que raconter la vie de Mozart mais peut également faire découvrir à certaines personnes le processus d’écriture de la musique. Le type de films qui, au-delà d’une histoire humaine simple, peut emmener des gens à repousser leurs connaissances initiales. Si on réussissait à faire ça avec Trois Christs, on serait contents. C’est un peu le programme de Quadrants (NDLR "département éditorial" créé par les deux auteurs au sein des éditions Soleil) qui au départ était destiné à la BD grand public d’auteur. Le plus grand plaisir sera de rencontrer des gens qui nous parlent de leur cinquième ou sixième lecture.
Le choix de Fabrice Neaud pour illustrer l'introduction, la conclusion et les transitions a-t-il été une évidence ?
VM : Fabrice a toujours été, selon nous, l’homme idéal pour ça. C’est un grand amateur de cathédrales et d’architecture gothique. Il a réalisé un chemin de croix pour une église, a toujours été attiré par le fait religieux. Il a finalement une grande culture chrétienne.
DB : Il est comme nous, un athée très formé dans la catholicité.
Le noir et blanc donne tout d’abord l’impression d’avoir à faire à des faits avérés. Puis on s’aperçoit très vite que là aussi, le lecteur est manipulé.
VM : C’est pour ça qu’à chaque début d’histoire, j’ai repris la scène du procès. Puisqu’en 1353, peu de temps après que le Saint Suaire a été montré aux fidèles, il y a eu un procès car l’évêque n’y croyait pas du tout. Un artiste est venu témoigner en affirmant qu’il avait réalisé le Saint Suaire. J’ai alors imaginé que « mon » Luc était cet artiste. Finalement, à chaque histoire, le fait qu’il fasse le Saint Suaire donne un sens complètement différent. C’est le prototype de l’image qui peut être interprétée de trois manières différentes.
DB : On espère que les gens sortent troublés de l’album, que le monde paraisse moins lisse que dans celui montré dans les médias.
Quels sont les faits historiques avérés sur l’apparition du suaire dans le village ?
VM : Ce qu’on sait, c’est que le premier témoignage absolument fiable que l’on a sur le Saint-Suaire est celui du procès de 1357 qui dit qu’un linceul censé représenter le corps du Christ a été montré aux fidèles en la collégiale Sainte Marie de Lirey. Ensuite, on sait que la collégiale a été consacrée en 1350. En prenant l’année 1353, j’ai donc coupé la poire en deux. On sait également que c’est le seigneur de Charny et sa jeune épouse qui sont à l’origine de la collégiale. C’est pour cela qu’ils apparaissent dans l’histoire. Mais c’est tout ce qu’on a comme données historiques. Entre la Bible et Lirey, il n’y a que des légendes, des témoignages. Untel dit avoir vu le visage du Christ sur un tissu à tel endroit... À l’époque, il était presque à la mode de prier devant une crucifixion et la souffrance du Christ. C’est vraiment un thème qui revient dans les écrits de l’époque et dans l’Art. Pour un seigneur de l’époque comme le sire de Charny, vouloir voir le Christ sur une croix ou son sang, c’est vraiment quelque chose de logique. On peut donc supposer que l’apparition de la relique à ce moment précis correspond à une aspiration du peuple.
DB : Ça a été du boulot d’écrire des histoires où l’on dit le contraire. On ne peut pas être 100% convaincants sur toutes les hypothèses.
VM : Esthétiquement, le Saint-Suaire s'inscrit dans les canons de l’Art gothique de l’époque.
DB : C’est vrai. Quand on regarde le corps du Christ, les mains sont trop longues, les jambes sont trop longues, la taille est trop petite… C’est exactement ce qu’on retrouve dans les statuts gothiques à l’époque. C’est une œuvre d’Art, il n’y a pas trop de doutes. Pourtant, on a essayé de ne pas montrer nos convictions dans le livre. Valérie laisse à la fin la parole à ceux qui ont des hypothèses sur la datation au carbone 14. C’est un livre historiquement assez carré. Quand les faits sont présentés d'un point de vue historique, ils le sont vraiment.
La tentation serait de dire que la science peut être l’ennemie de la religion plus que son alliée.
VM : (sourires) Ça, c’est une vieille histoire. Depuis Thomas d’Aquin au XIIIe siècle, on essaie de réconcilier la science et la religion en expliquant que ce sont deux ordres complètement différents.
DB : Il y a toujours des rationalistes qui ne comprennent définitivement pas le sens des religions et qui voudraient mettre fin à toutes. On voit aussi le Vatican réagir quand le prix Nobel de médecine est décerné au "père" de la fécondation in vitro. Il y aura toujours des gens pour les opposer.
Il y a aussi des scientifiques qui s’accommodent des Saintes Écritures...
DB : Stephen Hawking a écrit dans son dernier livre qu’il n’y avait pas besoin de l’existence de Dieu pour que l’univers s’auto-crée. C’est en train de faire scandale car il y a énormément de gens dans la communauté scientifique qui croient en Dieu. On voit que le débat n’est même pas fermé au sein de cette "instance" d’intellectuels brillants de la science. C’est étonnant qu’on en soit encore là. De toutes façons, si Dieu existe, la science finira par tomber dessus. Elle se trouvera à moment donné dans une impasse et donc dans les bras d’un créateur ou d’une puissance externe à l’univers. C’est peut-être une question de millions d’années. La réponse tombera de toute façon un jour ou l’autre. D’ici là, c’est juste une question personnelle, une interrogation du style « Vais-je survivre après la mort ? ». Je pense personnellement que je vais retourner à l’état d’atome dès que la conscience sera partie de mon corps. Mais je comprends très bien qu’on ne veuille pas vivre avec cette pensée-là. C’est absolument atroce comme pensée. Je comprends qu’on ne veuille pas imaginer que ses parents vont complètement disparaître de l’univers après leur mort. Que les gens croient en une vie après la mort me paraît un acte sain. Ce débat ne devrait même pas exister.
VM : Même si on venait à prouver que le Saint-Suaire est un faux, ça ne remettrait pas du tout en cause l’existence de Dieu.
D’autres mythes ont-ils été assaillis par les raisonnements scientifiques...
VM : Oh oui ! Sans arrêt. Pas seulement dans la Chrétienté et pas seulement aujourd’hui. Dans l’Antiquité, au moment où la religion chrétienne est apparue, les tenants du paganisme croyant en l’existence de Zeus et des dieux antiques ont voulu prouver que leur mythe était vrai. Ils ont essayé par exemple de faire voler un homme avec les ailes d’Icare. Évidemment, le malheureux est tombé. Encore aujourd’hui, des chercheurs se penchent spécifiquement sur le déluge, essaient de prouver que la mer s’est bien ouverte en deux...
Vous avez donc su résister à la tentation d'évoquer toutes ces tentatives autour des mythes dans le livre… (sourires)
VM : Oui, je pense qu’il fallait s’axer sur un sujet et y rester. C’est déjà assez compliqué comme ça.
DB : On ne fera pas une série « Les grands mystères de l’ésotérisme », même si le bouquin se vend à 200.000 exemplaires.
VM : (rires)
Denis, parlez-nous de Bajram, destructeur d’univers (NDLR : titre d'un recueil d'entretiens avec Thierry Bellefroid publié chez Soleil le 27 octobre prochain)
DB : On l’a commencé il y a deux ans. Thierry Bellefroid avait déjà fait un livre d'entretiens consacré à Christophe Arleston (Voyageur de Troy), au même format que celui-ci. Quand Mourad Boudjellal a proposé à Thierry d’en faire un autre, ce dernier a alors pensé à moi. Ça m’a beaucoup gêné. J’ai d’abord été tenté de lui répondre non car je me trouve encore bien jeune pour avoir droit à ce type de livre. Puis, je me suis laissé convaincre quand Thierry m’a dit que je passais mon temps à dire plein de choses, qu’il y avait des gens qui n’avaient pas l’air de vouloir quitter ma table lorsque je parlais, et qu'on pouvait donc imaginer que ces choses devaient avoir un semblant d’intérêt. Il serait donc peut-être intéressant de les communiquer à encore plus de gens. C’était l’envie de proposer une conversation un peu pointue mais sans fard. J’ai proposé un maximum d’images pour accompagner ces échanges, variées, avec des images enfants, des dessins ratés aussi. On sort parfois du sujet strict de la bande dessinée car j’ai des opinions un peu poussées sur certains thèmes, sur l’avenir de l’humanité, des choses qu’on peut déjà un peu deviner dans le UW1. Quelque part, on a refait devant le micro des conversations qu’on avait déjà eues avec Thierry en privé. C'était assez amusant.
On y apprend notamment que vous passez beaucoup de temps à écrire du code "parce que (vous avez) envie de parler le langage de nos « dieux »"(p 179).
DB : Je suis un geek, de la première génération européenne. Depuis le ZX80 en 1980, je n’ai jamais cessé de rentrer des lignes de code dans les machines, tant que la mémoire pouvait en endurer. Il n’y a chez moi aucune réflexion dans l’informatique au départ. Je m’accroche maintenant à tout ça car j’ai l’impression que notre façon de penser, notre façon d’être sont totalement sous l’influence de tout ça. Je n’ai pas envie de perdre ce contact privilégié que j’ai avec l’informatique depuis longtemps. Je pense, comme dans une chanson de Houellebecq, qu’à terme, nous allons laisser notre place à des machines numériques.
L’information que nous faisons circuler pourrait très bien quitter son support biologique et continuer hors de nous, probablement dans des machines, qui elles, sont immortelles, vont voyager dans l’espace, vont se reconstruire, être à plusieurs endroits en même temps : toutes les caractéristiques de dieux. Quelque part, on est en train d'accoucher de dieux. Si je pensais que Dieu existait, je dirais que Dieu a créé l’énergie, la matière, le minéral qui est devenu, par l’ADN, la chimie organique, qui a donné la vie, les végétaux, l’animal, l’être humain. Qui lui-même à son tour donnerait naissance à la vie minérale, avec le « silicium qui pense ». Il faut imaginer que cette intelligence artificielle, dés lors qu’elle est créée, pourrait immédiatement commander des pièces pour devenir plus intelligente, un peu comme si nous pouvions rajouter des options à notre cerveau.
C’est une nouvelle forme d’intelligence impossible à imaginer pour nous. Avec les machines, ce dont on va accoucher va être complètement hors de nous, à un niveau d’intelligence, d'amour aussi, d'émotion, à des degré bien supérieurs à ce que nous pouvons connaître. Avec l’informatique, je me dis que je serai peut-être un des derniers à pouvoir encore leur parler.
L'Intelligence Artificielle, d'ailleurs, et la vie extra-terrestre, seront abordés dans la suite d'UW1...
La première scène d'UW2 - si ça ne change pas - montre que personne n'a le courage d'aller voir ce qui se passe sur le soleil. Une I.A va être créée pour cela et va se trouver confrontée à la vie dans la galaxie. Avec UW2 et UW3, je lie les thèmes. Vous pourrez voir le résultat avec UW3, dans 10 ou 15 ans...
Pour ce Coup de projecteur, vous nous présentez un extrait du storyboard réalisé pour le t1 d'UW2. Arnaud Boudoiron, pour l'article consacré à Husk, nous avait présenté une page test.
Je ne savais pas qu'il avait montré ses planches tests sur UW2. Il a fait partie des dessinateurs auxquels j'ai proposé e n effet un essai sur UW2. C'était de bonnes pages, mais ce n'était pas "Universal War". Il n'y avait ni un problème de dessin, ni d'histoire de qualité… juste un feeling trop différent à l'arrivée. C'est après trois essais de ce type que j'ai compris qu'il n'y avait - hélas ou tant mieux - que moi pour faire cette suite sans trahir l'original. Enfin, j'espère… (sourire)
Valérie, Trois Christs achevé, d’autres énigmes sont présentes sur votre site, notamment celles concernant le projet « Abymes ». Ainsi, vous dites du troisième tome qu’il parlera « de nous, de pourquoi, un jour. »
DB : C’est bien dit.
VM : (rires) J’ai dit ça ? Oui, ça parlera bien de nous. Abymes va être un triptyque autour de la figure stylistique de la mise en abyme. C’est de l’auto-citation, un peu comme dans la "Vache qui rit" où il y a une boucle d’oreille qui représente une vache qui a une boucle d’oreille… Le premier tome, dessiné par Griffo, va porter sur Balzac qui sera un peu différent du « Balzac » historique. Le deuxième, dessiné par Malnati, portera sur H-G Clouzot qui va faire un film sur le Balzac du tome 1. Le troisième tome sera fait par nous et portera sur nous, qui habitons la maison de Balzac, en train de travailler sur le Clouzot qui lui-même travaille sur le Balzac...
DB : On va se retrouver à se citer nous-mêmes provoquant ainsi un cercle vicieux. Balzac trouve dans un journal son passé révélé dans un feuilleton. Il n’est pas très content car les faits ne sont pas exacts. Pour, Clouzot, c'est le making of du film qui consituera ma mise en abyme. Tout commence à déraper et se terminera avec nous dans le tome 3.
Sur BDGest, Loïc Malnati a également parlé d’un autre projet, totalement différent…
VM : Il s’agit de Du plomb pour les garces. Effectivement, ça n’a rien à voir. C’est moins artistique. C’est plus un polar autour de stars poursuivies par des paparazzis. Mais c’est avant tout un thriller : un homme disparaît, que lui est-il arrivé ? On découvre qu’il n’y a que des femmes autour de lui qui se sont jouées de son destin.
Denis, vous avez arrêté de dédicacer en 2006. La sortie de Trois Christs peut-elle vous faire revenir sur votre décision ?
DB : Non, je ne pense pas. Je ne fais plus de séances de dédicaces. Je ne veux plus voir les gens faire huit heures de file pour se mettre devant moi. Je vais simplement signer. Tout ça a complètement dérivé. Ce qui est étonnant, c’est qu’il y ait autant d’auteurs installés qui continuent. Quand on est jeune auteur, on a envie de se faire connaître. Ça tombe bien, on n’a pas trop de monde, donc c’est plutôt sympa.
Au début de ma carrière, il y avait juste 3 ou 4 personnes qui attendaient, avec qui je pouvais discuter. Au fur et à mesure que ma notoriété a monté, j’ai commencé à avoir toujours les mêmes, très organisés. Puis, un jour, à Saint-Malo, je me suis retrouvé face à des gens qui avaient attendu longtemps, étaient pratiquement sur la table. Et si par malheur je parlais un peu plus longtemps avec l’un d’entre eux, un peu moins abruti que les autres, je me faisais engueuler. Je me suis rendu compte que je distribuais des dessins dans la nature à des collectionneurs spécialisés. C’est depuis ce jour que j’ai complètement arrêté. Je ne vois pas de moyen de reprendre. Même avec les tirages au sort, les gens se revendent les tickets entre eux. En tant qu’auteur, la seule chose qui m’intéresse dans un salon, c’est de rencontrer mon public, ou un nouveau public que je ne connais pas.
VM : Des lecteurs en somme…
DB : Rencontrer des revendeurs de dessin, je ne vois pas trop l’intérêt.
VM : La dédicace est quelque chose de sympa, qui est devenue une fausse bonne idée avec le temps.
DB : J’ai en fait un mélange de mépris et de grand respect pour le public. J’admets qu’il y a un certain mépris à dire « Basta ! » mais, en même temps, je le respecte trop pour avoir ce type de rapport avec lui. J’essaie de faire des conférences, des ateliers. Il n’y a rien de mieux qu’un festival qui m’invite pour faire une conférence et une rencontre au bar.
VM : J’allais en dédicace quand j’étais plus jeune et il y avait moins de pression que maintenant. Mon grand plaisir était de voir un dessinateur dessiner. Si j’avais su tenir un crayon, j’aurais adoré voir apparaître le profil du héros ou un cavalier.
DB : Ce qui m’a aussi poussé à arrêter, c’est que les dédicaces sont devenues la principale activité des festivals. Il m’est arrivé de voir des conférences de Régis Loisel et Serge Le Tendre, attendant du public pour commencer. Le festival d’Amiens organise tous les mois une rencontre destinée à un groupe constitué, composé d'amateurs. Ils ont une cinquantaine de personnes qui viennent régulièrement pour ces rencontres sans dédicace mais il a fallu un travail de dix ans pour imposer ça.
Propos recueillis par Laurent Cirade & Laurent Gianati