Je dois avouer qu’après cette difficile période que je viens de passer, j’ai vraiment pensé tout plaquer et arrêter la BD pour m’orienter vers un autre média, d’autant que je commençais à avoir pas mal de propositions dans le cinéma. Mais finalement ma passion pour la BD m’a rattrapé, les gens aussi qui comptaient sur moi, notamment certains collaborateurs ; et puis je me suis dit que dans le cinéma, si les succès et la reconnaissance étaient multipliés par dix, les coups bas et les jalousies le sont sans doute aussi. Finalement, on est bien dans notre petit monde de la BD, certes il serait mieux sans tous les aigris, les jaloux et les parasites qui gravitent autour, mais j’ai décidé de me centrer exclusivement sur ce qu’il y a de positif : l’extraordinaire liberté, les opportunités et les belles rencontres que l’ont peut y faire. Ensuite, puisqu’on évoque Carthago, je dois dire que je suis ravi de l’accueil que les lecteurs ont réservé à cette série. Mais ceci dit, j’ai un goût amer dans la gorge et une certaine frustration. La série n’est pas là où elle devrait être ! Il y a deux raisons à cela : les difficultés financières des Humanos et mes relations conflictuelles avec Eric Henninot, le dessinateur. Après les très bonnes ventes du tome 1, la sortie du tome 2 n’a pas bénéficié du lancement qu’il aurait mérité. Mais je n’en veux pas aux Humanos, ils ont fait ce qu’ils ont pu avec les moyens du moment. En ce qui concerne le dessinateur de la série, je regrette qu’il ne joue pas le jeu et mette autant de temps entre chaque album, cela ne sert pas la série. Je ne peux pas m’empêcher d’imaginer où on en serait si on en était au tome 4 par exemple… Sur ce genre de scénario feuilletonesque, il faut qu’il y ait un album par an au minimum, c’est très important, sinon on frustre le lecteur et on empêche l’essor commercial. De plus, Eric Henninot est parti faire un XIII Mystery chez Dargaud. C’est sans doute une extraordinaire opportunité pour lui et je ne peux pas lui en vouloir. Seulement, il y a un minimum de reconnaissance qu’un auteur doit avoir vis à vis de quelqu’un qui à une époque l’a aidé. La façon dont la chose m’a été annoncée a tout simplement été indécente, et je ne parle même pas de Schlirf, l’éditeur, et de Yann, le scénariste du XIII Mystery, qui n’ont jamais pris la peine ne serait-ce que de m’en informer. En réalité, c’est bien plus vis à vis de tous les lecteurs qui me montrent leur enthousiasme que cela me pose un problème, car du coup je ne sais pas si un jour la fin de la série existera. Je ne sais même pas si le tome 3 sortira un jour. Eric Henninot refuse pour l’instant de signer le contrat du tome 3. Et comme je ne suis pas procédurier, je n’utiliserai pas la force – peut-être à tort ? - pour arriver à mes fins et que la série puisse arriver à terme. La plus grande désillusion dans ce métier, alors que gamin je vénérai les auteurs de BD, c’est de voir à quel point derrière de grands auteurs ne se cachent pas forcément de grands hommes. C’est un des inconvénients d’être passé de l’autre côté du miroir. Propos recueillis par L Cirade et L Gianati |