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Les transfuges de chez Robert Laffont

01/05/2009 31 planches

Quelques mois après avoir s’être lancées dans la bande dessinée, les éditions Robert Laffont jetaient l’éponge. Et ce, malgré un catalogue de qualité. Émois dans le milieu bédéphile. L’annonce peu après d'une reprise de tout le (jeune) catalogue par les éditions Delcourt donne une seconde chance aux auteurs qui s’étaient engagés dans cette aventure. Nouvelle mise en place, nouvelles maquettes, parutions simultanées, les premiers albums arrivent chez vos libraires. L’occasion de faire le point avec Béatrice Tillier, Xavier Dorison et Marya Smirnoff, directrice de la collection chez Robert Laffont, maintenue dans son rôle éditorial chez Delcourt.

Interview de Béatrice Tillier

Pour vous, que représente ce changement de maison d’édition ?

 

Un soulagement après 6 mois d'attentes et d'incertitudes quant au devenir de la série. Et du même coup, un sacré retour à la réalité !! Pas facile de se replonger dans un univers après l'avoir mis de côté tout ce temps. L'angoisse de mal faire, de ne plus être au même niveau, de décevoir... Heureusement, je ne tombe pas en terre inconnue, les éditions Delcourt m'étant familières depuis quelques années (en tant que coloriste de la série "Sheewõwkees" Mosdi/Brazao). 

Pouvez-vous nous parler de la nouvelle couverture créée pour la réédition du tome 1 du Bois des vierges ?

Nous voulions avec Jean Dufaux et d'un commun accord avec l'éditeur, faire table rase de l'épisode Robert Laffont : autant repartir à zéro ! D'autant que l'univers Delcourt a son lectorat fidèle, habitué lui aussi à un type d'album. Il ne fallait donc pas que ce livre arrive comme un "loup" au milieu d'un jeu de quille.J'ai donc fait plusieurs propositions pour que l'éventail du choix soit le plus large possible pour satisfaire tous les protagonistes.
Nous n'avons gardé que le logo/titre, puisqu'il avait été créé par mes soins. J'en ai profité pour refaire la page de titre car la précédente m'avait été imposée et ne me convenait pas. L'ensemble est donc plus classique, conventionnel, mais avec une part de mystère grâce à la seconde lecture de l'image de couverture.


Nouvelle couverture Tome 1


Vos dessins rappellent l’univers fantasmagorique de Cocteau : avez-vous pensé à La Belle et la Bête pour vos personnages ?

C'est surtout Jean Dufaux qui désirait que nous nous rapprochions de cet univers. Il a écrit l'histoire dans cet esprit-là, car lors de notre rencontre, mon univers le lui rappelait. Je m'y suis plongée à mon tour afin de répondre à ses attentes. Il fallait de beaux costumes, des décors fin Renaissance, de l'élégance et de la prestance dans les personnages, des choses que j'affectionnais déjà. Mais le piège était de ne pas tomber dans le "théâtral" en s'en inspirant trop, juste rester dans un état d'esprit similaire.

Le bestiaire est un peu nouveau pour vous. A partir de quelles références avez-vous travaillé ?

C'est surtout de ne pas travailler avec les références qui était important ! J'ai donc recherché tout ce qui avait été déjà fait en matière de récit animalier afin de m'en éloigner ! Car leurs auteurs l'ont fait avec brio, il ne servait à rien de s'en inspirer, pour souffrir d'une quelconque comparaison par la suite, comme aiment à le faire certains !!
Je suis donc repartie de la base, des animaux eux-mêmes. Leur comportement social dans la vie animale, leur similitude avec celui des humains. Puis une recherche graphique de ce qui pouvait les rendre humains : la stature, les mains, le regard. J'ai donc doté mes animaux d'yeux humains, avec beaucoup de blanc autour de l'iris afin de leur conférer une grande mobilité du regard et des expressions qui pouvaient nous toucher. Car c'est cela finalement le plus difficile, arriver à ce que le lecteur puisse s'identifier à un animal, à prendre parti pour un camp et croire au récit.

Vos loups et renards ont en effet un regard incroyablement humain…

De fait !! En les dessinant, je ne pense plus à eux comme des bêtes, mais juste comme des personnages du récit, avec une pilosité plus développée et une queue !! Voir au-delà de leur apparence : c'est ce que va devoir apprendre l'héroïne pour subsister et grandir.

Ces êtres mi-homme mi-animal c’est ce que nous sommes fondamentalement finalement ?

Oui, une part d'humanité chez l'animal et une part de bestialité chez les hommes. Sauf que chez l'humain, quand sa bestialité se déchaîne, il se rapproche plus d'un être démoniaque que d'un animal, car l'animal finalement, n'a pas d'autres motivations pour se battre, que la préservation de son territoire et de sa famille. "Le moins humain des animaux", une bonne définition pour l'homme !
 


Interview de Xavier Dorison

Parlez nous de ce changement de maison d’édition ? Comment l'avez-vous vécu ?
 

 

Cela tient en trois mots : Un Immense Soulagement !
Chez Robert Laffont, en dehors de ma directrice de collection (Marya Smirnoff) qui est maintenant chez Delcourt et avec qui ça s’est très bien passé, j’ai découvert la différence entre un éditeur de livres et un éditeur de BD. Ce qui n’est absolument pas la même chose. Les gens chez Laffont n’avaient absolument pas compris ce qu’était la BD, ne voulaient pas le comprendre, ne voulaient pas l’apprendre et ne s’en sont pas donnés les moyens.
Guy Delcourt a su voir les perspectives et les opportunités du catalogue Laffont, la qualité éditoriale de Marya et a mis à notre disposition tout son professionnalisme. On voit que c’est une maison qui connait son métier et qui y met les moyens.

Quelle est votre journée-type de travail ?

Ayant des enfants, j’ai des horaires parfois figées. J’essaie d’écrire de 9h à 12h30 et l’après-midi, 2 à 3 heures. Sachant qu’il faut également compter la documentation, les recherches...etc. En écriture pure, et cela dépend des jours, en général quelques heures. C’est assez peu finalement. Mais, à l’inverse, je pense à mon histoire tout le temps, même au repos, même en vacances.
J’ai cependant un rituel : tous les matins, à 9h, je suis au café « Les colonnes » à Issy les Moulineaux et j’écris !
Le café est un lieu génial parce qu’il n’y a rien d’autre à faire qu’écrire.


Couverture Tome 2


Dans quelle mesure votre passage dans une école de commerce vous a servi pour exercer ce métier ?

Paradoxalement, pas tant l’école de commerce en elle-même, mais la capacité à comprendre le compte d’exploitation d’un livre et lire un contrat. Au-delà de cet aspect, qui reste anecdotique, la prépa HEC, elle, sert pas mal à la formation d’un scénariste dans le sens où c’est à la fois une formation littéraire, et on en a besoin quand on est scénariste, et en même temps une formation pour la rigueur de penser.
Lorsque l’on veut écrire un scénario d’aventure, un polar, un scénario de genre quel qu’il soit, il faut un certain esprit de synthèse et de rigueur qui, à mon sens, est plutôt bien enseigné en prépa.
C’est, en fait, une façon de penser, ne pas comprendre par là : appât du gain ou vanité, juste une façon de penser carré.
Le scénariste doit penser carré 50 % du temps, les 50 autres % devant être plus libres, ce qui correspondrait plus à une formation d’une école d’Art.

Avez-vous analysé le processus de création ? Comment vous viennent vos idées ?

Sans rentrer dans le trop personnel, je suis quelqu’un de très stressé et d’assez angoissé : je voudrais pouvoir tout contrôler donc j’ai choisi le métier où par définition on ne contrôle à peu près rien !!
Alors oui j’ai analysé le processus, je sais quand je dois lâcher prise ou au contraire quand je dois me battre pour faire sortir l’idée. Quand il faut la nourrir : aller voir des films, aller voir des gens.
Mettre en route ce que j’appelle le serveur caché : aller faire un footing, aller à la piscine, faire tout autre chose. Ne pas s’en occuper pour justement résoudre le problème.
Et s’il m’arrive encore de bloquer, dans ces cas là j’appelle un autre scénariste et on en parle. Je ne peux pas m’empêcher de tout théoriser, et je théorise aussi ce processus.

Vous n’avez jamais écrit de comédies ou de récits humoristiques...

En effet. Cependant, on trouve dans mes albums, du comique de situation, des pointes d’humour. C’est lié aux personnages.
Il y a deux sortes d’histoires : celles qu’on aime raconter et celles qu’on aime lire. J’aime lire des choses drôles mais je préfère écrire des histoires plus « tragiques ».
C’est une façon très différente d’écrire, que ce soit en ce qui concerne le rythme, la gestion des hasards, la façon d’aborder les sujets. C’est très spécifique.

Comment travaillez-vous avec votre dessinateur, E. Breccia ?
Je lui envoie un scénario entièrement découpé (écrit en français traduit par l’éditeur en espagnol) et ensuite quand nous devons discuter, c’est en anglais. J’avais déjà écrit Sentinelle. J’ai rencontré ensuite Enrique et, effectivement, cela a super bien « collé » entre nous. En général, le scénario ou l’idée du scénario est là bien avant le dessinateur. Parfois, c’est le dessinateur qui va me donner l’énergie d’avancer sur un projet et je peux m’adapter au dessinateur en nuançant mon récit.
 


Nouvelle couverture Tome 1

Pourquoi avoir choisi la Grande guerre plutôt qu’une autre ?

Je ne pouvais pas choisir trop tôt dans l’Histoire, car si j’avais choisi, par exemple, le XIVème siècle, je n’aurais pas pu me servir du côté technologique. Plus tard, chronologiquement, je pense qu’un super-héros français n’est pas crédible.
Un super-héros est un personnage quasi mythologique qui porte au pinacle les idéaux d’une société. Or, je pense, qu’en France, après 14/18, on ne peut plus prétendre à aucun idéal. Pour une raison simple, c’est qu’avant 14, la France avait des valeurs héritées, entre autre, des Lumières, un idéal, une façon de penser, des valeurs qui semblaient éternelles et inaliénables. Là, août 14 : 200 000 morts. Quatre ans plus tard, la France recense plus d’un million de morts, une génération a été sacrifiée et le pays est exsangue. Comment un pays peut-il porter haut ses valeurs quand il a à ce point échoué ? Soit on ferme sa gueule, soit on pratique l’ironie. Donc je ne pouvais pas prétendre à imaginer un super-héros qui vienne après ce désastre…

Avez-vous pensé au mythe du surhomme ?


Bien sûr, j’ai lu pas mal sur le sujet. Gabriel n’est pas un super-héros, c’est juste un symbole sur lequel va reposer tous les espoirs. Il donne un espoir, il dit aux gens : « c’est possible ».
 

Peut-on parler d’un album baroque ? Par opposition au classicisme des albums franco-belge.

Merci ! Je le voyais complètement comme ça. J’ai, d’ailleurs, choisi Enrique Braccia pour cela.
Je prends l’acceptation commune du mot : c'est-à-dire débordant, très riche, très rempli…
Il faut savoir que Les sentinelles est un terrain d’expérience pour moi. Je l’ai écrit avec, ouvert à côté de moi, « Understanding Comics » (l’art invisible) de S. MacCloud, en me disant que j’allais casser mes propres codes de narration en essayant de tout utiliser : la vue subjective, l’insertion photo, l’affiche, du texte off… J’avais décidé de ne rien m’interdire.
Et il y a le dessin et les couleurs d’Enrique. Tout cela mis bout à bout donne cet effet baroque.
Celui à qui j’essaie de rendre hommage dans cette BD-là c’est Allan Moore. Il y a plus de « Watchmen » et « Ligue des gentlemen extraordinaires » dans cette histoire que dans n’importe quel autre de mes albums.
J’ai donc fait mon mélange.

Combien de tomes la série comptera-t-elle ?

Autant qu’on veut mais on se dirige vers un tome par grande période de la guerre. L’idée, c’est de suivre 14/18 avec le regard des sentinelles : Ypres, les Dardanelles…

 


Interview de Marya Smirnoff

De nombreuses rumeurs ont accompagné la reprise de la branche BD de Robert Laffont par Delcourt. Pouvez-vous donner votre vision de cette opération ?
 

Même s'il est question d'édition, le roman et la BD sont des métiers différents. Il a fallu se rendre compte que les outils du roman étaient inadaptés et affronter la difficile et pénible réalité que les équipes de promotion et de diffusion ne pouvaient guère passer plus de 10% de leurs temps au produit magique qu’est la bande dessinée. On avait une équipe formidable mais qui ne pouvait pas donner de son mieux. Il fallait avoir un outil important et spécifique. Nous avions alors le choix entre monter toute la structure chez Laffont ou rapprocher le catalogue d’un éditeur qui avait déjà ces compétences, en l’occurrence Delcourt.

Les auteurs ont insisté pour que vous restiez la directrice de cette collection chez Delcourt. D’où vient cet esprit d’équipe ?

C’est l’aboutissement de nombreuses rencontres humaines. Nous avions monté un département différent avec une même envie de travailler ensemble et non pour recevoir des pages et les mettre entre deux cartons. Il s'agissait de vraies relations humaines avec de vrais échanges. On ne se contentait pas de signer des contrats et de se revoir un an plus tard. C’était un dialogue permanent, depuis le synopsis jusqu’au dessin, une interaction entre personnes non seulement passionnées mais qui faisaient preuve d’un investissement réel et d’un professionnalisme d’une très grande rigueur. Avoir tous ses auteurs derrière soi est le plus beau cadeau dont puisse rêver un éditeur.


Dans le schéma que vous évoquez il semble que vous partez généralement du scénario ?


Non pas forcément. Dans ces mariages entre dessinateurs et scénaristes, il y a la dimension humaine, même à ce niveau-là. Dans le cas de Serpieri, Dufaux a senti l’homme. Il n’était pas question qu’il fasse le même scénario pour quelqu’un d’autre. Dorison, pour sa part, a la même exigence que moi et il a fallu que le choix du dessinateur soit "évident". Breccia a son caractère. Soit il adhère, soit il n’adhère pas et il le fait savoir. Tous ont un caractère bien trempé, c’est qui fait la magie de ces rencontres.

En juin sort aussi « Le manuscrit interdit » qui n’était pas encore paru chez Laffont ?

Si, si, il était sorti sous le titre "L'ombre du temps". Le second tome était même fini mais dans les derniers mois, sortir un album chez Laffont aurait été irresponsable et catastrophique. Il fallait attendre une nouvelle structure et ne pas mettre sur le marché un album mort-né.

Avez-vous d’autres signatures en perspective ?

Oui, plusieurs, mais je ne parlerais que de celle de Philippe Bertrand qui fait l’adaptation du roman de Jean Teulé « Le Montespan » (2e vente chez Pocket, déjà vendu à 280 000 exemplaires). Jean voulait l’adapter lui-même mais il s’est vite rendu compte qu’il connaissait trop son roman. Il n’avait pas le recul nécessaire. Il s’est tourné vers Philippe Bertrand qu’il connait depuis longtemps et qui nous fait quelque chose de remarquable et très différent.

Delcourt ressort les tomes 1 en même temps que les tomes 2. Nouvelles maquettes, nouvelle mise en place, pour quelles raisons ?

Offrir une nouvelle vie aux premiers tomes est une façon de montrer aux auteurs que l’on s’imprègne de la culture Delcourt tout en corrigeant les erreurs du passé. Par exemple, pour Les sentinelles, l’équipe de maquettistes de chez Delcourt a revu et unifié les couvertures des deux tomes pour en faire un ensemble plus cohérent. Les graphistes de chez Laffont étaient axés sur le roman, ceux de Delcourt ont une connaissance des codes BD. C’est un langage différent.
On a rendu la lecture des "Sentinelles" plus fluide en changeant le lettrage. De même, on a changé l’ancien titre « L’ombre du temps », qui était un peu confus, par « Le Manuscrit interdit » qui colle beaucoup mieux à l’histoire. On ne fait pas des changements pour le plaisir, c’est toujours un changement pour le mieux. Ces nouvelles éditions sont aussi augmentées de cahiers graphiques.

Vous voici directrice de collection d’une collection qui n’a pas de nom. Un casse-tête en matière de communication ?

Une collection doit avoir une identité forte mais les choses sont un peu différentes dans ce cas précis. Chez Laffont, j’étais à la tête d’un département qui avait déjà ses propres collections. Tout réunir sous une même bannière n’avait pas de sens. Nous avons préféré dispatcher les différents albums dans les collections qui les serviraient le mieux. Peut-être que demain j’aurais ma propre collection mais sous quel nom ? Smirnoff ? (Rires).

Pas de regrets d’avoir quitter Laffont donc ?

Ça a été un gros pincement au cœur pour tout le monde de quitter Laffont. Difficile de monter un département de cette qualité et de se rendre compte qu’on ne peut lui assurer l’avenir qu’il mérite. Heureusement, il y a des gens qui ont les yeux grands ouverts pour voir les pépites d’or qui s'y trouvaient et les faire fructifier.


Propos recueillis par Alexandra S. Choux et Christophe Choux