Entretien avec Matthieu Gabella, scénariste de Sept prisonniers
Comment vous-êtes vous retrouvé au cœur du projet « Sept » ?
Quand David Chauvel a lancé la collection Sept, Thomas Ragon, qui était mon responsable éditorial, lui a présenté mes travaux sur Idoles ainsi que sur La Licorne que je commençais à monter en parallèle. David m’a alors proposé d’intégrer l’équipe de Sept. Je lui ai fait une première proposition de scénario dont le thème était basé sur les "Super Héros", mais qui a été refusée.
J’avais également une autre idée issue de la série télévisée Oz que j’aimais beaucoup, plus d’ailleurs que New-York 1997 (NDLR : un air de parenté entre 7 prisonniers et le film de John Carpenter a été évoqué). C’était plutôt l’univers carcéral tel que je le voyais dans Oz qui m’intéressait. Comme la science-fiction est aussi un thème que j’affectionne, j’ai eu l’idée de les utiliser tous les deux. Un troisième thème me trottait dans la tête, celui d’une grotte préhistorique sur la lune. Je fonctionne d’ailleurs en général comme ça : je regarde les idées que j’ai, puis je m’amuse à trouver des liens entre elles pour en dégager une histoire. C’est David Chauvel qui m’a suggéré l’idée d’une prison dans laquelle les détenus sont livrés à eux-mêmes. Les thèmes de Sept n’étaient donc pas déterminés à l’avance ? Vous n'avez pas eu besoin de tirer à la courte paille ?
Pas du tout. Les autres scénaristes et moi-même nous sommes retrouvés autour d’un repas où chacun annonçait un peu son pitch.
Il n’y avait donc pas de cahier des charges très précis pour créer chaque album de la série ?
Non. L’idée principale était de réunir sept personnages tout en évitant un certain nombre d’écueils. Certains auteurs, comme Fabien Vehlman ou David Chauvel, ont joué avec le recrutement qui fait partie intégrante de leur scénario. Pour ma part, j’ai préféré démarrer directement l’histoire.
Une façon peut-être d’éviter une certaine lassitude des lecteurs en souhaitant être original pour le dernier album de la série ?
Au départ, Sept Prisonniers devait être l’avant-dernier album de la série. Du retard a été pris pour différentes raisons (pagination, recherche d’un coloriste…) et il s’est retrouvé finalement en dernière position. Il a constitué l’un des plus longs travaux que j’ai réalisé puisque je l’ai débuté il y a maintenant deux ans et demi.
L'album compte 62 planches : est-ce suffisant pour intégrer tout ce que vous souhaitiez ?
Avec le recul, je trouve mon scénario un peu mou du genou au milieu et un peu précipité vers la fin de l’album, dans le style « on tourne une page, tout le monde est mort ». J’aurais aimé avoir une ou deux pages de plus pour avoir la possibilité de développer un peu plus tout ça.
Il est vrai aussi que cette période correspondait à un moment pendant lequel je remettais beaucoup mon travail en question. J’ai vraiment commencé à réfléchir sur la façon dont je pouvais écrire mes scénarios.
Avant, j’avais tendance à faire des choses très denses et plutôt compliquées. J’ai essayé par la suite de rendre mes histoires plus fluides et plus compréhensibles.
J’ai encore des progrès à faire en ce qui concerne la psychologie des personnages. Je pense que je laisse encore trop de place à l’action pure. J’ai dorénavant pris l’habitude d’intégrer la pagination beaucoup plus en amont qu’avant, de découper mon histoire plus tôt. J’arrive maintenant à développer les thèmes souhaités, quitte à reporter dans un prochain album ceux que je n’ai pas pu exploiter.
C’est d’ailleurs ce qui se passe avec La Licorne. On me dit qu’il y aura un quatrième tome juste parce que la série marche. Pas du tout. C’est tout simplement à cause de la densité trop importante du premier tome, que j’ai moi-même du mal, aujourd'hui, à lire. Du coup, je me suis dit que je ne pouvais pas tout gâcher en réalisant seulement trois tomes. Le succès est plutôt quelque chose qui m’a permis de faire un quatrième tome. Sept Prisonniers représente une sorte de pont entre Idoles et La Licorne. Comme beaucoup d’albums de science-fiction, Sept Prisonniers possède également une dimension politique.
Le thème principal est la sauvagerie, la part de bestialité présente chez chacun d’entre nous. Puis, sans être taxé de raciste et en l’ayant également observé dans Oz, il existe dans les grandes prisons, notamment américaines, des sections, des clans.
Comment vous est venue l’idée d’intégrer le thème du chamanisme dans un récit de SF ?
Les chamans exploitaient les reliefs pour donner vie aux corps. On ne sait pas encore exactement si c’était pour rendre hommage aux animaux tués ou une façon de prier pour que la chasse soit bonne. Parmi ces fresques, certaines indiquent, en tout cas, qu’ils n’étaient pas dans leur état normal.
Parmi vos références, vous avez cité Oz et New-York 1997. On ne peut s’empêcher également de penser à d’autres films de John Carpenter.
Et pourtant, je ne suis pas du tout fan de John Carpenter… Effectivement, je me retrouve un peu avec Sept Prisonniers dans un esprit assez nihiliste du style « tous pourris, on va tout détruire, anarchie ». C’est cette noirceur qui peut faire penser à l’esprit Carpenter. Quand on a commencé à comparer mon album avec Ghosts of mars, je me suis dit : « Je l’ai raté à ce point-là mon bouquin ? ». En fait, je pense que je n’ai pas vu les bons films de John Carpenter.
Comment s’est formé le duo avec Patrick Tandiang ?
Je ne connaissais pas Patrick. Il a été contacté par l’intermédiaire de Didier Poli que je croisais de temps en temps et à qui j’ai demandé s’il connaissait des dessinateurs susceptibles d’être intéressés par le projet. Il m’a montré le travail de Patrick et ça s’est fait comme ça.
Avez-vous eu des échos des autres albums de Sept ?
J’ai demandé de temps en temps à David Chauvel de m’envoyer quelques pages des autres scénarios, par curiosité. Il y a eu une véritable émulation autour de ce projet. D’autant qu’à part Mickaël Le Galli et Pascal Bertho dont je connaissais mal le travail, les autres avaient déjà une sacrée notoriété. J’ai d’ailleurs demandé à lire le scénario de Fabien Vehlman car je voulais voir comment les « grands » s’en sortaient. On a juste fait quelques repas ensemble, histoire de boire et de raconter quelques conneries (rires).
Quels sont vos projets ? La fin de La Chute peut-être ?
(Rires). Concernant La Chute, j’ai vraiment essayé de mettre en ligne le découpage sur mon blog. Je n’y suis jamais parvenu. J’avais même demandé à Poulos de réaliser quelques illustrations. Puis c’est tombé à l’eau. Aujourd’hui, je souhaite absolument donner la fin aux lecteurs, d’autant que c’est ma première série. Je promets de mettre en ligne la fin, mais c’est un livre très compliqué.
Sinon, on en est à la moitié du troisième tome de La Licorne. Je suis également en train d’adapter L’Ile mystérieuse qui ne devrait pas se trouver dans la collection "Ex Libris" dirigée par Jean-David Morvan, car, comme d’habitude, j’ai mis mon grain de sel dans l’histoire. J’ai vraiment eu envie d’explorer la jeunesse de Nemo, ce qui prend déjà un tiers de l’album, alors que Jules Verne donnait finalement très peu de détails. Le premier tome devrait sortir à la rentrée.
En parallèle, je réalise également une série, Trois Souhaits, chez Drugstore dont le thème rejoint celui des mille et une nuits. J’avais envie d’écrire une histoire parlant de tapis volants, de types avec des sabres… Le dessinateur est un italien. L’histoire est celle d’un homme qui se sacrifie pour sa cause, et se retrouve finalement enfermé dans une lampe car il a été transformé en génie. Le maître de la lampe dit à l’homme : "Maintenant, tu as une mission à accomplir : pour sortir de la lampe, tu as trois souhaits à réaliser. Pour chaque souhait, tu auras un délai maximum de 24 heures pour exécuter ta mission, avec quelques pouvoirs mais aussi des faiblesses. Si tu échoues, tu resteras enfermé pour l’éternité dans la lampe". Il y aura un tome pour chaque souhait. J’ai bénéficié d’une bonne pagination (54 pages) pour chaque épisode.
Entretien avec David Chauvel, initiateur du projet
et scénariste de Sept voleurs
Retour à la case Départ : comment est né le projet « Sept » ?
Sept est né dans une période pendant laquelle je lisais beaucoup de documentation chinoise, d’ouvrages très axés sur le sabre et l’épée (NDLR : pour préparer la série éponyme) ainsi que sur les arts martiaux. J’ai eu l’idée de faire un remake des Sept samouraïs en reprenant la trame principale du film : sept personnages qui ont une mission à remplir. Puis j’ai pensé à proposer ce scénario à plusieurs personnes.
Aviez-vous prédéterminé les différents thèmes (Science Fiction, Pirates…) ?
Pas du tout. J’avais déjà mon propre scénario en tête et j’ai fait confiance aux six autres scénaristes qui sont avant tout des copains. C’était vraiment : « Je fais un jeu. Qui veut venir jouer avec moi ? ». J’avais élaboré un cahier des charges suffisamment large pour éviter que les histoires se ressemblent trop. D’ailleurs, je ne pouvais pas imaginer quelque chose de plus restrictif dans un tel exercice de ce style.
Avez-vous recruté votre équipe au sein de l'écurie Delcourt uniquement ?
Pas forcément. Je souhaitais travailler avec Michaël Le Galli avec qui je fais déjà beaucoup de choses. J’ai aussi très vite pensé à Fabien Vehlmann puis à Alain Ayroles, en qui j’ai toute confiance.
Comment s’est passé la distribution du planning des sorties ?
En gros, c’était premier fini, premier sorti. Sept psychopathes et Sept Voleurs sont arrivés en même temps. J’ai trouvé qu’il valait mieux sortir l’album de Fabien Vehlmann en premier car il possède une vraie personnalité. Puis l’ordre des sorties des autres albums était plutôt aléatoire, pas tant à cause du scénaro que du fait du dessin, car il a fallu trouver des dessinateurs disponibles pour le projet, ce qui n’a pas été toujours évident. Pour Sept pirates , par exemple, j’ai passé beaucoup de temps à chercher la bonne personne. Il n’y avait donc pas de « liste idéale », ne serait-ce que parce que j’étais incapable de prévoir s’il était plus intelligent ou pas de sortir tel album avant tel autre. Le plus important était que la série forme un tout en conservant la possibilité pour le public d'acheter tel ou tel album, indépendamment, suivant les affinités qu’il possède avec tel ou tel auteur.
Quelle était la consigne en terme de nombre de pages ?
J’ai donné carte blanche, entre 46 et 62 pages. Il y a eu un débordement avec Sept yakuzas mais je pense que ça valait vraiment le coup que Jean-David Morvan prenne toute cette place. Ce qui est intéressant, c’est la façon différente de traiter la partie « recrutement » par les scénaristes. Certains ayant préféré sauter complètement cette partie alors que d’autres l’ont intégrée à l’histoire. C’est un aspect dont je ne me suis pas aperçu immédiatement. Je m’étais attaché à ce que les histoires soient différentes, à ce que les déroulements soient différents, à ce que les fins soient différentes. Le fait d’avoir également traité les recrutements de différentes façons a donné des trames qui ne se ressemblaient pas, évitant ainsi tout risque de lassitude de la part du lecteur. Je m’en suis rendu compte après la sortie de Sept psychopathes et de Sept voleurs qui intégraient tous deux un recrutement très classique avec aussi l’évidence que tous les personnages ne pouvaient pas être développés, ce qui aurait pris sinon beaucoup plus de 62 pages. Ce sont des certitudes qu’on a a postériori, pas sur le moment.
Comment êtes vous intervenu ? Avez-vous joué un rôle de superviseur ?
J’ai déjà essayé de motiver tout le monde au départ. Puis, il a fallu trouver les différents dessinateurs qui convenaient le mieux aux scénarios. Par exemple, pour Sept missionnaires, il fallait un dessinateur qui possède une certaine puissance, capable d’encaisser la narration très perfectionnée d’Alain Ayroles. Puis mon rôle a été de suivre le travail de chacun, rappeler les délais, discuter de certains points du scénario. Par exemple, je n’étais pas d’accord sur tout avec Jean-David Morvan, notamment sur la question d’indiquer la traduction de mots japonais au fur et à mesure des pages, ou à la fin de l’album… même si le vis-à-vis avec la dernière page n’est pas très heureux. Mais quand on travaille en pdf, on ne voit pas le vis-à-vis. Néanmoins, je suis persuadé que si les mots sont insérés de façon naturelle dans la phrase, et au bon endroit, ce qui est le cas pour Sept yakuzas, il n’est pas nécessaire d’utiliser la traduction.
Sept Missionnaires a été sélectionné dans la catégorie « Meilleur scénario » des BDGest’Arts 2008. Cela vous surprend-il ?
Quand j’ai réuni pour la première fois tous les scénaristes, j’ai su immédiatement qu’Alain allait me faire un super scénario.
Y avait-il une émulation, un esprit de compétition entre scénaristes ?
On a mangé tous ensemble, on a bien rigolé, et je n’ai jamais senti d’esprit de compétition entre les auteurs. Les jeunes ont eu peut-être un peu plus de pression, surtout Matthieu Gabella qui, de fait, devait clore la série, mais je pense qu’ils s’en sont plutôt bien sortis.
Avez-vous déjà une idée du succès de la série ? Quels tomes se sont le mieux vendus ?
Comme beaucoup de séries, c’est le premier tome qui s’est le mieux vendu (Sept psychopathes). Puis ça se suit assez régulièrement avec un léger pic pour Sept missionnaires. Je pense que beaucoup de lecteurs sont intéressés par le travail d’Alain Ayroles. Au début du projet, j’avais peur qu’il y ait de grosses différences entre les ventes des albums, juste parce que certains lecteurs souhaiteraient acheter celui de leur auteur favori. Ce qui ne semble pas aujourd’hui être le cas.
Pouvez-vous nous parler de votre nouveau projet ?
Pas encore, même si les choses sont engagées. Aujourd'hui, je peux vous annoncer une autre "série concept", sur un thème radicalement différent. Et dire qu'un certain nombre d'auteurs sont déjà impliqués, parmi lesquels Christophe Bec, Richard Guérineau, Fred Duval, Christophe Quet, Denys et moi-même.
Propos recueillis par L. Gianati et L. Cirade