D’ou vient l’idée de faire une revue plutôt que de se contenter de faire des albums de 48 pages ?
En fait, les Humanos nous ont demandé ce qu’on avait envie de faire et c’est ça qui est en sorti. Personnellement, j’ai toujours préféré les périodiques aux albums donc quand on nous a dit qu’on pouvait faire ce qu’on voulait, on a plongé là-dessus. Même chose pour le format, j’ai mesuré un livre que j’aimais bien et hop ! Ce qui m’excite dans les périodiques, c’est ce qu’on ajoute aux bandes dessinées, je prends mon pied en écrivant les éditos et les pages textes.
Et puis, comme c’est un seul et même univers, mélanger les séries était assez évident. Ca permet aussi de faire des histoires courtes avec des auteurs que j’aime bien mais qui n’ont pas forcément le temps –ou l’envie– de se lancer dans un truc de longue haleine. La sortie des albums est-elle à période fixe ?
Oui, tous les 3 mois.
Ces derniers temps les éditeurs rivalisent d'initiatives plus ou moins heureuses pour sortir la BD franco-belge du traditionnel cartonné 48 pages annuel. Le format de Lucha Libre est il destiné à répondre à cette attente ? Il n’y a jamais eu de conversation entre les Humanos et nous à ce sujet. Mais il me semble assez évident qu’il y avait derrière leur proposition de nous laisser libre de faire ce qu’on voulait, l’idée d’offrir quelque chose qui pourrait effectivement sortir la BD d’un format traditionnel. Et puis, nous avons pris cette décision dans un bar à Paris en janvier 2006 et ils tiennent bien moins bien l’alcool que nous… Sinon, vivant loin, je dois dire que je ne suis pas de très près ce qui se passe en BD, mais il me semble tout de même qu’il y ait un vent de panique. Si les auteurs peuvent en bénéficier pour faire ce qu’ils ont envie, c’est tant mieux. Avoir autant de liberté à tous les niveaux, c’est un plaisir permanent. Je remercie les Humanos pour ça, et en particulier Nicolas Forsans, mais d’un autre côté, si on se pète la gueule, c’est sur nous que ça retombera !
La couverture de l'album de mai annonce crânement 5 séries, 11 auteurs, est ce que vous pouvez nous débrouillez tout ça ? En fait, j’aime bien crâner et puis c’est la première fois que les cinq séries de Lucha Libre seront réunies dans un même numéro. Nous sommes passé à 64 pages, ce qui permet cet exploit . Bref, nous aurons la deuxième partie des Tikitis (dessins de Fabien M.), la suite de Tequila (dessins de Gobi), le début de la deuxième histoire des Luchadores Five (dessins de Bill), 10 pages des Luchadoritos (dessins de Tanquerelle), et des gags tout en finesse et sophistication du Profesor Furia (dessins de Witko et scénarios de Inès Vargas). En plus de ça, il y aura une première histoire courte à propos des Formidables (dessins de Stéphane Oiry) et 3 pinups (Edith, Guy Davis et L’Afroteam). Si je ne me suis pas planté dans mes calculs, ça fait 11 auteurs. Il faut encore ajouter deux pages persos ainsi qu’un vibrant hommage que nous rendons au fleuron de l’industrie lourde française : la Citroën CX présidentielle. Les dessinateurs des trois séries principales ont des styles très complémentaires qui achèvent l’unité du concept. Comment c’est fait le choix ?
Quand je faisais le design de Métal Hurlant, j’ai vu passer trois pages de Bill et j’ai eu envie de bosser avec lui tout de suite. On s’est bien entendu et il m’a présenté Gobi et Fabien. À ce moment, j’avais le début du concept de Lucha Libre, donc c’est arrivé au bon moment. Gobi à commencer tout de suite Tequila et Fabien a démarré les Tikitis un peu plus tard. Ensuite j’ai contacté Hervé Tanquerelle et Witko pour les deux autres séries. Leurs styles sont sensiblement différents des trois autres, mais je voulais qu’il y ait ce mélange de styles.
Lequel des deux a déterminé le style général
Bill. Mais je pense que leurs styles s’éloignent de plus en plus.
Est ce que ça ne risque pas de nuire à l'homogénéité du projet ?
Non, pas du tout, au contraire, chaque partie de l'univers global à son propre caractère visuel.
Le format est il évolutif, peut on s’attendre à de nouvelles rubriques ? Y aura t il des fiches cuisines ?
Oui bien sur, il y a plein de trucs en cours. Récemment, j’ai relu des vieux Mickey magazines et il y avait un truc formidable là-dedans, ce sont les pages des Castors Juniors. Il y a des fiches pour construire des trucs les plus improbables pour des enfants, comme un cache-radiateur ou une étagère à casseroles. Il FAUT que je fasse quelque chose dans le genre. J’ai aussi pensé à des fiches « alcool » par Tequila.
Pourquoi avoir situé l’histoire a Los Angeles plutôt qu’à Mexico ?
Parce que le but de Lucha Libre était de mélanger au maximum les cultures et que le choix des USA me semblait beaucoup plus approprié pour ce genre de concept. Et puis, comme je vis à Los Angeles, forcément, cette option s’est imposée. La façon dont je travaille est que je vais me promener partout dans cette ville et que c’est une source d’inspiration sans fin. On voulait créer une sorte de nouvelle culture, quelque chose de bâtard où tout est permis et en fait, c’est à ça que ressemble une ville comme Los Angeles. Il y a des gens venus du monde entier qui ont amené avec eux un morceau de chez eux. C’est merveilleux et terrifiant à la fois parce qu’ils ont amené ce qu’il y a de mieux et parfois ce qu’il y a de pire. Par exemple, Downtown LA est devenu l’endroit d’occident où l’on pratique le plus d’exorcismes…
Dans la partie éditoriale, on devine déjà que les deux séries ne sont pas étanches, y aura t il un vrai cross over ?
Aucune des cinq séries n’est étanche. Elles se passent toutes dans le même univers. Dans le prochain Lucha, le 5, il y a une histoire sur la jeunesse de Tequila, on y croisera El Gladiator et d’autres membres des Luchadores Five. Et puis, à un moment, on commencera à expliquer le pourquoi de cet univers. Dans chaque numéro, il y a déjà de petits indices qui prendront leur sens plus tard.
Doit-on s’attendre à de nouvelles équipes ? Si oui avec de nouveaux dessinateurs ?
Oui, il y a des autres choses en cours, mais je ne vais pas vendre des peaux de dessinateurs avant de les avoir tués. Mais entre autres, Stéphane Oiry devrait continuer les Formidables. Michael Roux travaille sur une histoire courte ainsi que Benjamin Bachelier. Et puis, il y a plein de gens avec qui je voudrais bosser et a qui je voudrais proposer quelque chose.
Bien que l’univers soit fantastique on a pu voir que les protagonistes ont des pouvoirs assez peu extraordinaires… nos héros sont-ils des super héros ? Suffit-il d’enfiler une capuche et de se donner un nom pour être un lucha libre ?
Dans la culture américaine, l’héroïsme est quelque chose d’assez présent. Les personnages de Lucha Libre ne sont pas des super héros, par contre, ce sont des gens qui ont un jour pris la décision de vivre différemment, malgré tout ce que ça implique. De ce côté, je les trouve très respectables. Ils vivent dans une sorte de monde parallèle. Un jour au Comicon de San Diego, j’ai croisé des types habillés en personnages de Star Wars. Ils étaient six, cinq stormtroopers et un rebelle, prisonnier qui marchait au milieu des autres avec les mains sur la tête. C’est celui-là qui m’a vraiment frappé. Il n’était pas dans une convention de comics, mais sur une autre planète, prisonnier de l’Empire et il craignait pour sa vie… C’était un des éléments déclencheurs de Lucha Libre. Des gens qui vivent leur passion jusqu’au bout sans se préoccuper de ce qu’on pense d’eux. Le masque, c’est ce qui les défini. Ils ont choisi de ne plus les retirer, de vivre ça à fond. Je trouve ça assez beau en fait. Et puis, fondamentalement, je m’intéresse plus aux gens qui aiment les super héros qu’aux super héros eux-mêmes. Et je voulais prendre un point de vue entre l’Europe et les USA. En Europe, si tu te ballades avec un masque, tout le monde va se moquer de toi, ici, personne ne va vraiment y prêter attention. Je voulais me mettre entre les deux.
Comment les équipes se constituent elles ? Y a t il un adoubement ?
Oui, il y a un adoubement. C’est quelque chose dont je vais parler très bientôt. Je suis sur une histoire courte à ce sujet.
En lisant votre biographie, une question vient à l’esprit : comment passe-t-on de la plage de sable fin à la lucha libre plutôt qu’à la boxe ou au catch ?
Ah oui, ma bio… Faut pas croire tout ce que j’écris. C’est un ami qui m’a fait découvrir la Lucha Libre il y a une bonne dizaine d’années. Il vit à Bruxelles au milieu d’un musée personnel. Il m’a toujours ramené des cadeaux de ses voyages au Mexique. Masques, affiches, lobby cards, etc. Le folklore qui entoure la lucha libre est il directement hérité du catch US, donc des comics, ou a-t-il des racines plus traditionnelles ? Sur le ring, on se rapproche plus du catch US très scénarisé ou du vieux catch à la française genre Lino Ventura ? Pour les règles, qu’est ce qui est permis, qu’est ce qui est interdit ? Y a t il plusieurs fédérations ? Si oui, existe-t-il des réunifications de titre ?
Je dois avouer que je ne suis pas ça de très prêt. Les combats sont très drôles mais comme avec le catch US très peu crédibles. Ce qui m’intéresse, c’est l’incroyable aura que les luchadores ont sur leur public. Ce sont des dieux. Je connais quelqu’un qui a fait venir El Hijo De Santo à LA pour un projet et un jour ils sont allé manger dans un restaurant mexicain. Quand Santo est entré dans le resto, tout le monde s’est tu. (Il ne quitte jamais son masque bien sûr). Et au moment de manger, il a fallu qu’il change de masque, il devait en mettre un avec un trou plus large au niveau de la bouche. Tout le monde a alors détourné le regard pour ne pas voir son vrai visage… Je trouve ça merveilleux ! C’est ce genre de chose qui m’excite dans cet univers.
[NDLR : Nous sommes très déçus, nous étions persuadés que Jerry Frissen s'était fait éreinter sur les rings du monde entier et avait des dizaines de titres à son actif. Pour toutes les réponses techniques aux questions existentielles ci-dessus vous pouvez vous reporter à wikipédia : Lucha Libre ] En parlant de Dos Santos, pour préparer le dossier nous sommes tombés sur ces deux visuels, qu'est ce que cela vous inspire ?
Je trouve la couverture assez moche, mal foutue et bâclée. A mon avis, c'est assez récent. Par contre l'affiche est merveilleuse ! La toute grande classe. C'est parce que je n'arrivais pas à dessiner comme ca que j'ai arrêté ! Ceux qui faisaient des affiches comme ca n'avaient peur de rien et je crois que ce premier degré est ce qui me plait le plus.
La gamme de figurine existe aux Etats-Unis avant la sortie de la série. On imagine mal cette démarche en France...
L’univers du jouet vinyl est très récent. Il y a des gens qui en font dans le monde entier, mais le centre actuel, c’est la Californie. On a donc pu rapidement vendre nos jouets sans support. On en vendait un peu en France, mais c’est vrai que ça n’a vraiment démarré qu’avec la sortie des bandes dessinées.
Des lors, comment fait on connaître son produit sans le support des comics ?
On a tout fait avec un blog (vinylpulse.com) qui était quasi la seule source d’info à l’époque. Mais, il faut remettre les choses à leur place, on travaille avec des tirages extrêmement limités, les quatre versions de Tequila ne totalise pas 1500 exemplaires. C’est en fait une toute petite industrie où la grosse majorité des gens le font par plaisir et par passion. Nous n’avions aucune idée de comment fabriquer un jouet mais on l’a fait quand même. Ça m’a rappelé le début du punk quand il ne fallait pas être musicien pour jouer. Un truc qui m’a frappé à l’époque, c’était le dos de couverture du premier album des Buzzcoks, la guitare de Pete Shelley était une petite guitare d’enfant. J’ai toujours ça à l’esprit quand j’ai envie de faire quelque chose.
En terme de coût, ce la revient il moins cher de fabriquer aux USA et d’exporter en France ?
On fabrique en Chine. Il n’y a plus d’usine de jouets aux USA. Vu la différence Euro/dollars, c’est avantageux pour les français d’acheter aux USA. On a eu pas mal d’écho de magasins en lignes US qui n’avaient jamais vendu autant en France que ces derniers temps.
Pour la réalisation de toys, êtes-vous le seul contact avec le fabricant ? Les dessinateurs découvrent le produit fini ?
Non, on fait tout ensemble. Ce sont les dessinateurs qui font un turnaround de leurs personnages. On leur montre les évolutions de la sculpture et les choix de couleurs sur les prototypes. Moi, mon travail, c’est de faire les packagings.
Le processus de fabrication des toys est il similaire à celui de nos figurines en résine ?
Je ne sais pas vraiment comment on fait des figurines en résine… Pour le vinyl, on emploie la technique du rotocast, c’est à dire que le vinyl est déposé dans un moule qui tourne à grande vitesse. Pour ce qui est des petites pièces, comme le bambou de El Panda, c’est du pvc, ce qui demande un moule supplémentaire.
Les toys sont ils articulés ? A quel rythmes pensez-vous les sortir ?
Oui, il y a des articulations. Nous n’avons pas de plan très précis pour les sorties. On tourne à fonds propres, mais nous venons de changer d’usine et on va pouvoir produire de la meilleure qualité pour moins cher. Nous avons maintenant 4 jouets (en différentes versions). Un autre en cours de production et quatre autres en cours de sculpture. Donc, le rythme va s’accélérer et les prix vont descendre. Les Humanos ont pris la décision de les distribuer, ils vont donc aussi pouvoir se trouver plus facilement.
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Dossier préparé par Stéphane Farinaud