INTERVIEW BDGest' : Comment vous est venu le projet d'adaptation "libre" de "20 000 lieues sous les mers" ?
Brüno : c'est tout simple, l'éditeur - [treize étrange] - souhaitait lancer une collection d'adaptations de romans d'aventures.
BDG : Pourquoi "20 000 lieues..." ? Quels étaient vos intérêts par rapport au roman ?
B : J’avais initialement pensé à Tartarin de Tarascon, mais l'éditeur n'était pas très chaud...du coup, je me suis redirigé vers Jules Verne et j'ai lu Robur le conquérant, car je voulais éviter d'adapter quelque chose de trop connu. Mais finalement, j'ai laissé tomber car je lisais en parallèle 20 000 lieues sous les mers et j'ai trouvé que cela serait plus simple a adapter (et plus stimulant graphiquement) car je pouvais m'appuyer sur des scènes assez fortes (poulpe, île aux cannibales, cité engloutie, fonds marins etc.)
BDG : Concrètement vous n'avez gardé que la trame de l'histoire originale, en en modifiant même la fin. Même l'époque change (on passe de la fin du XIXème au début du XXème siècle), était-ce pour échapper au style désuet du roman ou pour d'autres raisons ?
B : Je ne sais pas si la fin du XIXème est plus désuète que le début du XXème, mais a l'époque je ne me sentais pas trop chaud pour dessiner des bateaux à voiles, je préférais dessiner des bateaux à vapeur. Et puis cela permettait de les rendre plus crédibles dans les scènes de bagarres marines, que cela semble crédible qu'ils puissent envoyer le Nautilus par le fond.
BDG : Les relations entre les personnages sont très particulières. Vous présentez un Nemo dont on ne sait rien et un Aronnax très enfermé dans ses recherches scientifiques. A côté d'eux, le duo "Conseil / Ned Land" est plus à la recherche de sa liberté.
B : Les personnages et les relations qu'ils ont entre eux sont assez schématiques mais, en gros, je voulais un Nemo assez fascisant, et un professeur Aronnax fasciné par les potentialités scientifiques de Nemo et de son sous-marin. A la fin c'était assez logique qu'il décide de rester à bord du sous-marin. Après ces aventures, que pouvait-il espérer d'un retour a la vie normale (d'autant qu'on l'imagine mal avoir une petite famille à retrouver) ?
Conseil est un couard, et je trouvais cela plutôt marrant qu'il soit le seul à s'en sortir.
Ned, beaucoup plus remuant, permettait de mettre un peu de pêche a l'intérieur du sous-marin, quand il est mort, j'ai dû d'ailleurs le "remplacer" par le commandant Farragut qui revient dans le 4ème tome.
BDG : Le Nautilus que vous avez créé est nettement plus solide, armé et performant que celui inventé par Jules Verne. Pourquoi cette différence ?
B : Il fallait qu'il soit un peu crédible dans son rôle de projectile géant qui transperce des bateaux (d'où la forme fuselée sans trop d'aspérités, et les réacteurs puissants) et puis c'est dû au fait d'avoir déplacé l'action au début du XXème siècle.
Pour ce qui est de l'armement, je n'en ai pas rajouté. Dans le roman, le Nautilus peut envoyer des décharges électriques. (décharges électriques que j'ai remplacé par des tentacules).
BDG : La fameuse langue mystérieuse que parlent Nemo et son équipage est représentée sous forme de symboles. Comment avez-vous travaillé ce concept ?
B : J'ai fait ma maîtrise d'arts plastiques sur les idéogrammes en Bande Dessinée. La partie pratique du mémoire était une BD où tous les dialogues étaient remplacés par des pictogrammes. Du coup, quand il a fallu trouver un idiome pour les membres de l'équipage - vu que dans le roman, ils avaient eux aussi un langage spécifique - j'ai réutilisé ce système.
Je voulais que le lecteur puisse décrypter le langage de l'équipage contrairement à Ned et ses compagnons, et cette astuce changeait un peu de celle qui consiste à représenter les langues étrangères grâce des typos particulières (comme on en trouve beaucoup dans Astérix, notamment)
Et puis cela réduit à l'essentiel les dialogues de Nemo et de ses hommes, et leur enlève tout affect.
FONDS D'ECRAN
BDG : Pour quelle raison les membres de l'équipage de Nemo se ressemblent-ils tous ?
B : Cela accentuait le côté oppressant du sous-marin.
BDG : La contemplation et le silence sont très présents dans ces albums.
B : Hé bien... cela vient sans doute du fait que c'est quasiment ma première BD avec des dialogues. Avant je n'avais fait que des récits muets, ou dans certains cas avec des dialogues uniquement écrits en idéogrammes. Et puis l'histoire se prêtait bien a un traitement en ambiances. Du coup, j'ai été plutôt avare en dialogues. C'était peut être une erreur, car les personnages sont de ce fait assez minimalistes.
BDG : Une version en intégrale N&B de Nemo va bientôt sortir. Qu'a t-elle de plus que le coffret couleur ?
B : C'est une intégrale - ça c'est un plus - mais la couleur en moins, je ne sais pas si cela va bien vivre de plus, ce sera une version remontée au format carré (21/21). J'ai fait le découpage de sorte à ce que cela soit possible. Ces formats différents, c'était une idée de l'éditeur.
BDG : Un petit mot de vos projets ?
B : Pour l'instant c'est assez flou. Pour l'année prochaine, il y aura -à priori chez [treize étrange]- les aventures de Michel Swing (version papier d'une bd on-line réalisée à 4 mains avec Pascal Jousselin, http://michel.swing.free.fr ). Et sinon, avec Tarek au scénario, un triptyque qui se déroule en Russie au début du XXème siècle, pendant la révolution. Enfin, une possible adaptation de Robinson Crusoé, on verra bien...
Interview réalisée par Christophe Steffan le 16 avril 2005