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ondres, Ramsgate, Zunberg, Dordrecht, Auvers-sur-Oise... De 1873 à 1890, à Théo, à sa mère ou sa sœur, voici dix-sept lettres de Vincent Van Gogh et autant de séquences graphiques pour les mettre en scène.
Demander à un virtuose du noir et blanc d'interpréter quelques-unes des missives d'un maître de la couleur, ce sont les éditions Glénat qui ont pris cette initiative originale et audacieuse.
Artiste international au style parfaitement reconnaissable, Danijel Žeželj (Babylone, Starve, Chaperon rouge…) ne tombe jamais dans la facilité. Ce défi de taille, il le relève brillamment. L'intrusion parmi les méandres de l'esprit torturé de Van Gogh expose ses fêlures et sa sensibilité. Le contexte de chaque fragment épistolaire est expliqué en fin d'ouvrage, permettant de mieux appréhender, dans sa globalité, la période choisie de la correspondance. La progression à travers la paranoïa de l'homme à l'oreille coupée est très bien rendue. L'intelligence de la démarche s'inscrit dans la dissonance et le décalage entre les écrits faussement calmes et les visions éclatées qui figurent la personnalité vacillante, chancelante et trébuchante de Vincent. La peinture n'est finalement que peu évoquée et quand elle l'est, elle sert de prétexte à un événement personnel pertinent. Ce qui est mis en avant, c'est la psyché, les peurs profondes, les doutes, les psychoses et les délires du peintre.
Ceci est également une magnifique occasion d’admirer la maestria du dessinateur d'origine croate. En pleines pages, dans de grandes cases étirées ou allongées, le noir côtoie, enlace et s'immisce dans le blanc et inversement. En pointillés, en traits, en courbes ou en aplats, le sombre s'habille de matière. La lumière perce l’obscurité qui peut aussi l'envahir, quand le côté obscur s'avère pressant. Le crayon habile dessine des formes, des décors et des personnages tout en perspective et en contraste, générant une ambiance souvent inquiétante, fascinante. Les enchaînements de plans et la beauté des illustrations sont une véritable exploration spirituelle et forment une sorte de rêve psychédélique : cette puissance graphique évocatrice est très parlante, d'ailleurs, tout phylactère serait superflu et en gâcherait la lecture.
Association d'artistes incomparables, de styles aux antipodes, l'existence de cet ouvrage devient une évidence, une alchimie superbe et majestueuse entre l'Art et l'âme.
Le plaisir d'un beau livre en grand format, de superbes planches en noir et blanc qui interpellent sur le parcours de Van Gogh, en évitant d'en reprendre les codes de manière trop évidente.