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(AUT) Trondheim Entretiens avec Lewis Trondheim

06/04/2020 4642 visiteurs 7.4/10 (5 notes)

« La crainte que j’exprimais dans Désœuvré est toujours là : celle de faire l’album de trop. Je sais bien que tous les livres que j’ai écrits ne sont pas également réussis, et certains pensent sans doute que j’ai déjà atteint ce stade-là. Soi-même, on ne le sait pas, et notre entourage ne nous le dira pas forcément. Donc il vaut mieux se fixer une date de préremption. (un temps.) Je me fixe une échéance pour rester dans une forme de vigilance. Peut être est-ce de l’orgueil, après tout, de ne pas accepter qu’on puisse devenir moins bon. Peut être n’est-ce pas si grave que ça.  » Entretiens avec Lewis Trondheim, l’Association, page 80.

Pas toujours à l’aise avec l’exercice, Lewis Trondheim décline les entrevues d’Hugues Dayez, destinées à la parution de La nouvelle bande dessinée (2002, Niffle) tout en réalisant la première de couverture. Dix-huit années plus tard, il est temps pour l’intéressé d’oser confier les points clefs d’une carrière exceptionnelle. D’autant que l’auteur se plaît à raconter à qui mieux mieux qu’il cessera de publier à l’aube de ses soixante printemps.

Historien et théoricien de la bande dessinée (En chemin avec Baudoin, PLG, 2008 ; M. Töpffer invente la bande dessinée, Les Impressions nouvelles, 2014 ; Gotlib : un abécédaire, Les Impressions nouvelles, 2019), Thierry Groensteen a eu le privilège de recueillir les indiscrétions du bédéiste. Le journaliste maîtrise parfaitement son sujet et interroge précisément son interlocuteur. Il ne masque pas ses doutes concernant des titres et critique tant la rythmique de Walter que l’explication finale de L’Accélérateur atomique, voire l’absence de colorisation de l’Île Bourbon, 1730. Un ping-pong agréable s’installe entre les deux personnalités, même si le bouillonnant Grand prix de la ville d’Angoulême de 2006 doit, parfois, être canalisé par des suggestions chronologiques.

La transcription des échanges a été découpée en douze chapitres retraçant les grandes étapes de son parcours, de l’itération iconique des années de formations à l’apprentissage de la couleur aux travers de la série Les Petits Riens, de l’autobiographie à la fiction, du fanzine Approximate Continuum Comics Institute H3319 à la collection Shampoing de la maison Delcourt, en passant par la fondation de l‘Association. En outre, le recueil est agrémenté des témoignages de fidèles collaborateurs (Harry Morgan, Jean-Pierre Duffour, Matthieu Bonhomme, Appolo, Brigitte Findakli, Nicolas Kéramidas, Joann Sfar, Obion, Jochen Gerner, Mathieu Sapin, Stéphane Oiry et Hubert Chevillard). Ces marques d’affection décrivent un personnage aux antipodes de l’image qui lui colle à la peau. Timide, Lewis Trondheim s’est créé une carapace élevant le cynisme au rang d’art et entretenant de détestables relations à l’endroit des journalistes. Pourtant, l’homme se révèle doux et prévenant, joueur et engagé auprès des générations futures. Par ailleurs, au gré de la conversation d’autres dessinateurs et scénaristes sont cités au titre de leurs influences, mais également eu égard à la camaraderie du milieu, n’en déplaise à ses détracteurs. De même, des lieux emblématiques sont abordés, l’école Émile Cohl, l’atelier Nawak et celui des Vosges. De quoi rassasier les attentes des badauds bien familiarisés au monde des bulles.

Évidemment, cette rencontre n’est pas un point d’entrée dans l’univers de Ralph Azham, de Donjon et consorts. Loin s'en faut, ces confessions s’adressent aux initiés avides de secrets de conception, des petites histoires qui se cachent derrière les grands albums et aux curieux en recherche d’informations sur les publications à venir. Au nombre des révélations, et comme promis en quatrième de couverture, le lecteur en apprend de belles sur Frantico, sur la suite de l’excellent Capharnaüm : récit inachevé ainsi que sur le véritable prénom d’un héros récurrent aux longues oreilles. Pépite supplémentaire, un message secret est dissimulé au cours des aventures de Lapinot parues aux éditions Dargaud de 1995 à 2004. Dernier amuse-bouche, la figure de proue de Omni-visibilis s’est reconnue entraînant, de facto, une gêne intense de son illustrateur. Au gré des pages, une multitude de voiles est levée. Mais afin d’en savoir davantage, il vous faudra vous procurer l’opus !

Entretiens avec Lewis Trondheim de Thierry Groensteen se destine donc principalement aux aficionados du virtuose et, dans une moindre mesure, aux débutants qui découvriront quelques ficelles du métier. L’ouvrage remplit de surcroît une mission patrimoniale en révélant, à son corps défendant, les différentes facettes de la « perruche » ou de « l’aigle royal », c’est selon. Révolutionnant le médium et parent d’au moins cent quatre-vingt œuvres, l’artiste a marqué durablement le neuvième Art et continuera, croisons les doigts, à inonder l’industrie de son talent.

Par Y. Machado
Moyenne des chroniqueurs
7.4

Informations sur l'album

(AUT) Trondheim
Entretiens avec Lewis Trondheim

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L'avis des visiteurs

    bru Le 07/04/2020 à 10:32:25

    Indispensable pour qui veut mieux et bien comprendre cet auteur incontournable de ces dernières années.