D
ans la guerre opposant la France et l'Angleterre à la Chine, François et Jacques sont trempés jusqu'au cou. Liées depuis le début, les trajectoires des deux amis se sont révélées totalement opposées. Alors que le premier est horrifié par les dessous du conflit et a approché de trop près l'opium, le second s'est mué en soldat téméraire afin de gagner le respect de son père naturel. Pour l'un comme pour l'autre, l'heure de vérité a sonné et le danger n'a jamais semblé aussi proche.
Avec la fin de La bataille de Dagu, Didier Alcante et Laurent-Frédéric Bollée avaient mis en place tous les éléments pour une conclusion épique et sanglante. Après un rappel saisissant sur l'élément déclencheur de l'enrôlement de leur héros, les premières planches de La chute du palais d'été restent pleinement dans le ton. Toujours aussi à l'aise pour peindre les costumes traditionnels chinois et les uniformes du Second empire, Xavier Besse régale de belles compositions. Il joue aussi des expressions et des cadrages pour accompagner les (nombreux) éléments que ses comparses égrènent. Entre la tension des dernières négociations et les échanges incisifs opposant Jacques et le général Montauban, François et le sergent Marais ou entre les représentants des deux camps, les scénaristes ne laissent guère le lecteur respirer, sans jamais que la fluidité n'en souffre.
Sans taire la conduite des Occidentaux, ils s'appuient sur les destins croisés de leurs personnages centraux (les deux amis mais aussi Valentine la journaliste, Jia Li, la veuve de l'ambassadeur ou Sengge Linqin) pour raconter la grande Histoire. Celle de la première guerre économique si peu mise en avant de ce côté-ci du globe. Avec métier, ils rendent leur trame passionnante et offrent à leur complice l'occasion de montrer son sens de la mise en scène notamment lors de séquences de combats explosives. Elles restituent avec force la cruauté, la violence et l'intensité des affrontements par des ambiances marquantes. De jour comme de nuit, elles soulignent chaque passage grâce à une colorisation directe très réussie, jusqu'à l'ultime case.
Une conclusion épique, pour une intrigue qui met en lumière une partie méconnue du passé commun de la France, de la Grande-Bretagne et de la Chine. Documentée, bien narrée et dépaysante à souhait, Laowaï s'avère une série à la hauteur de ses ambitions. Un divertissement intelligent à ne pas manquer.
Lire la chronique du tome 1.
Lire la chronique du tome 2.
Lire la preview du tome 1.
Tianjin, 2 septembre 1860.
François Montagne, soldat français parti en Chine, notamment pour venger son parrain missionnaire décapité, vit des heures difficiles. L’opium l’anéantit complètement. Ses rêves ne sont que cauchemars. Le général Montauban demande à le voir mais il est incapable de se lever. C’est donc, son fidèle ami, Jacques Jardin, qui s’y rend à sa place pour le plus grand déplaisir du général… Jacques est son fils illégitime et pour le général, ce n’est qu’un mollusque, un lâche…
Critique :
Mais que voilà un scénario intéressant qui couvre une page d’histoire de France (et d’Angleterre) bien peu glorieuse, raison pour laquelle ce sujet n’était quasi guère abordé ! C’est là tout le mérite du Belge Alcante (de son vrai nom, Didier Swysen) et du Français Laurent-Frédéric Bollée d’avoir créé une histoire qui nous plonge directement vers le milieu du XIXe siècle (1860) alors que les armées franco-britanniques, bien que numériquement moins importantes, mais dotées d’armes technologiquement en pointe, balaient les troupes chinoises encore équipées de vieilles pétoires et d’arcs.
Pour rappel, les bons Samaritains européens étaient là pour s’emparer des richesses chinoises en imposant à ce peuple d’acheter l’opium qu’ils leur refourguaient. Ceci dit, point de manichéisme de la part des scénaristes : tous les Chinois ne sont pas des braves types, à commencer par l’Empereur, une vraie nouille qui ne se soucie que de passer du bon temps avec ses concubines en se prenant pour un dieu vivant.
La destruction du Palais d’Eté, précédée du pillage de ce chef-d’œuvre, nous rappelle comment beaucoup d’œuvres chinoises ont abouti dans nos musées ou dans des collections privées…
Dans ce récit, le plus improbable c’est cette double histoire d’amour du soldat Montagne avec une franco-chinoise, jeune veuve d’un diplomate français, dont il est très épris, et l’amour que lui porte la journaliste française qu’il a à peine entrecroisée. Pas de quoi gâcher notre plaisir !
Et enfin, comment ne pas citer le travail graphique exceptionnel accompli par Xavier Besse qui recrée, par ses aquarelles, une ambiance qui nous transporte en Chine !
A lire, de préférence en enchaînant les trois tomes pour en retirer encore plus de plaisir !
Cette excellente série se conclue de manière remarquable, avec un niveau et une qualité toujours au rendez vous.
De multiples Flashbacks et rebondissements viennent nourrir et renforcer la complexité et la dramaturgie du récit.
Le rythme s'intensifie et les caractères des personnages se creusent de plus en plus, et notamment le soldat Martin qui se transforme véritablement de pages en pages.
Les planches de cette chine médiévale sont toujours aussi bien exécutées. Combats, décors et paysages se succèdent avec toujours autant de qualité.
Le seul petit point négatif serait sur la conclusion de cette histoire qui pour moi est à la fois trop rapide et trop floue.
Mais ce petit détail n'est rien tant Laowai aura su à travers ses trois albums nous faire voyager à travers un excellent récit qui a su mélanger brillamment fiction et authenticité.
Merci à BRUXELLESBELGIUM qui avec son avis sur le tome trois nous fait part de l’intégralité de la lettre de Victor Hugo au capitaine Butler. La sauvagerie et la barbarie n’ont pas de frontière et ce sont certainement les seules à pouvoir voyager à travers les continents sans passeports. Cette belle série prend fin et est à conseiller aux amateurs d’aventures et d’exotisme. Que d’écœurement nous propose la nature humaine…
Victor Hugo et le sac du Palais d’été
Lettre au capitaine Butler
L’empereur Xianfeng est en fuite. Il a abandonné Pékin aux troupes anglo-françaises qui, le 6 octobre 1860, envahissent sa résidence d’été, d’une beauté exceptionnelle, la saccagent, la dévastent. Ce pillage, qui marquera la seconde guerre de l’opium, indigne certains témoins occidentaux. Victor Hugo, lui, ne connaît cette « merveille du monde » qu’à travers le récit des voyageurs, mais, d’emblée, il prend le parti des civilisés, les Chinois, contre les barbares.
Hauteville House, 25 novembre 1861
Vous me demandez mon avis, monsieur, sur l’expédition de Chine. Vous trouvez cette expédition honorable et belle, et vous êtes assez bon pour attacher quelque prix à mon sentiment ; selon vous, l’expédition de Chine, faite sous le double pavillon de la reine Victoria et de l’empereur Napoléon, est une gloire à partager entre la France et l’Angleterre, et vous désirez savoir quelle est la quantité d’approbation que je crois pouvoir donner à cette victoire anglaise et française.
Puisque vous voulez connaître mon avis, le voici :
ll y avait, dans un coin du monde, une merveille du monde ; cette merveille s’appelait le Palais d’été. L’art a deux principes, l’Idée qui produit l’art européen, et la Chimère qui produit l’art oriental. Le Palais d’été était à l’art chimérique ce que le Parthénon est à l’art idéal. Tout ce que peut enfanter l’imagination d’un peuple presque extra-humain était là. Ce n’était pas, comme le Parthénon, une œuvre rare et unique ; c’était une sorte d’énorme modèle de la chimère, si la chimère peut avoir un modèle.
Imaginez on ne sait quelle construction inexprimable, quelque chose comme un édifice lunaire, et vous aurez le Palais d’été. Bâtissez un songe avec du marbre, du jade, du bronze, de la porcelaine, charpentez-le en bois de cèdre, couvrez-le de pierreries, drapez-le de soie, faites-le ici sanctuaire, là harem, là citadelle, mettez-y des dieux, mettez-y des monstres, vernissez-le, émaillez-le, dorez-le, fardez-le, faites construire par des architectes qui soient des poètes les mille et un rêves des mille et une nuits, ajoutez des jardins, des bassins, des jaillissements d’eau et d’écume, des cygnes, des ibis, des paons, supposez en un mot une sorte d’éblouissante caverne de la fantaisie humaine ayant une figure de temple et de palais, c’était là ce monument. Il avait fallu, pour le créer, le lent travail de deux générations. Cet édifice, qui avait l’énormité d’une ville, avait été bâti par les siècles, pour qui ? pour les peuples. Car ce que fait le temps appartient à l’homme. Les artistes, les poètes, les philosophes, connaissaient le Palais d’été ; Voltaire en parle. On disait : le Parthénon en Grèce, les Pyramides en Egypte, le Colisée à Rome, Notre-Dame à Paris, le Palais d’été en Orient. Si on ne le voyait pas, on le rêvait. C’était une sorte d’effrayant chef-d’œuvre inconnu entrevu au loin dans on ne sait quel crépuscule, comme une silhouette de la civilisation d’Asie sur l’horizon de la civilisation d’Europe.
Cette merveille a disparu.
Un jour, deux bandits sont entrés dans le Palais d’été. L’un a pillé, l’autre a incendié. La victoire peut être une voleuse, à ce qu’il paraît. Une dévastation en grand du Palais d’été s’est faite de compte à demi entre les deux vainqueurs. On voit mêlé à tout cela le nom d’Elgin, qui a la propriété fatale de rappeler le Parthénon. Ce qu’on avait fait au Parthénon, on l’a fait au Palais d’été, plus complètement et mieux, de manière à ne rien laisser. Tous les trésors de toutes nos cathédrales réunies n’égaleraient pas ce splendide et formidable musée de l’orient. Il n’y avait pas seulement là des chefs-d’œuvre d’art, il y avait un entassement d’orfèvreries. Grand exploit, bonne aubaine. L’un des deux vainqueurs a empli ses poches, ce que voyant, l’autre a empli ses coffres ; et l’on est revenu en Europe, bras dessus, bras dessous, en riant. Telle est l’histoire des deux bandits.
Nous, Européens, nous sommes les civilisés, et pour nous, les Chinois sont les barbares. Voila ce que la civilisation a fait à la barbarie.
Devant l’histoire, l’un des deux bandits s’appellera la France, l’autre s’appellera l’Angleterre. Mais je proteste, et je vous remercie de m’en donner l’occasion ; les crimes de ceux qui mènent ne sont pas la faute de ceux qui sont menés ; les gouvernements sont quelquefois des bandits, les peuples jamais.
L’empire français a empoché la moitié de cette victoire et il étale aujourd’hui avec une sorte de naïveté de propriétaire, le splendide bric-à-brac du Palais d’été.
J’espère qu’un jour viendra où la France, délivrée et nettoyée, renverra ce butin à la Chine spoliée.
En attendant, il y a un vol et deux voleurs, je le constate.
Telle est, monsieur, la quantité d’approbation que je donne à l’expédition de Chine.
Victor Hugo