A
yant perdu son identité après le vol de sa précieuse mallette, un homme doit se débrouiller seul dans un monde sans pitié. Comment exister quand tout ce qui fait votre soi vous a été arraché ? Aveugle et sourd, sa quête pour regagner sa dignité d’être humain va être longue et semée d’embûches.
Les éditions Même pas Mal se sont embarquées dans un énorme projet éditorial en publiant Un livre pour se faire des amis de Lukas Verstraete. Histoire aux ressorts indescriptibles et aux ramifications aussi complexes que multiples, l’album est impressionnant tant par sa taille que par son contenu. Virevoltant, varié et d’une profondeur déconcertante (chaque planche mérite qu’on s’y arrête longuement), le lecteur est plongé dans un univers grouillant de vie et de périls.
Le premier choc est graphique. Déchiré entre illustration et BD, le dessinateur se bat pour poser ses idées sur le papier et, parfois, ça déborde. Tour à tour figuratif, expressionniste, symboliste et surréaliste, Verstraete a largement pioché ici et là (l’école new-yorkaise du Raw d’Art Spiegelman/Françoise Mouly, Peter Kuper, les primitifs flamands, etc.) pour nourrir son inspiration. Le résultat est tout bonnement détonnant. Grotesques, distordues et extraordinaires, ses créatures traversent les pages laissant derrière elles des traînées de craies grasses aux teintes primaires. À l’unisson de l’atmosphère générale, la mise en page ne s’encombre pas de règles préconçues ou de cadres tirés bien droits et préfère se dérouler en toute liberté. L’important est de raconter et de provoquer des émotions tout en restant lisible. Le contrat est rempli, même s’il emprunte des voies détournées ou secrètes pour arriver à ses fins.
Fable à message ? Conte social contemporain ? Récit autobiographique ? Oui, oui et oui, sans oublier la confrontation entre les mythologies. Évidemment, le corollaire à cette explosion thématique et narrative a un prix à payer. La trame de départ est distordue à en devenir obscure. Les métaphores et autres mises en abîme audacieuses demandent une attention soutenue pour ne pas se retrouver dans la même situation que le héros. Cependant, en prenant bien le temps de pénétrer ses arcanes, l’ouvrage se révèle être plus que passionnant à décrypter. Tiens, ça ne serait pas Tintin caché dans le coin ? Et là, Bob et Bobette ont pris du poids, mais on les reconnaît bien. Amusant, Lilith sort de ascenseur au neuvième sous-sol et cite Dante. Tout ceci me semble familier et, pourtant, si extraordinaire. À la frontière des genres, l’auteur offre un admirable roman dessiné à tiroirs.
Œuvre totale réalisée avec la fougue de l’urgence permanente, Un livre pour se faire des amis sent autant le souffre que l’amour. Méfiez-vous néanmoins, cette lecture addictive pourrait s’avérer dangereuse pour l’esprit !
boum ! un livre pour se faire des amis. Quel "trip" que celui d'un humain à double personnalité où le moi maniaque passe d'un personnage à l'autre, pour finalement commencer à se sentir bien dans la peau de Lilith qui vit à l'étage -9 de l'enfer. Le moi maniaque laisse l'autre moi dans le désespoir, raillé et rejeté, même par les anges du ciel.Finalement, l'écrivain, alias Dieu, alias le phallus, s'en mêle et part en guerre contre la chatte de Lilith, qui vomit des monstruosités. La réunion des deux personnalités après les combats nous ramène au début de ce jeu d'oie, où l'histoire peut recommencer.D'un point de vue graphique, nous avons affaire ici à un style flamand exubérant que les fondateurs de Monsieur Feraille pourraient contempler avec une envie dévorante.
Entre-temps, aucune nouvelle bande dessinée de Lukas Verstraete n'a été publiée. Peut-être que dans ce livre, il a dit tout ce qu'il voulait dire.