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eut-on prendre sa retraite quand on est un mangaka célèbre ? En 2015, alors qu’il jouissait d’un repos bien mérité après une longue carrière, Tetsuya Chiba reçoit un appel de l’éditeur Big Comic qui le supplie de reprendre le crayon et l’encre. D’abord peu enthousiaste, l’artiste finit par céder et, à soixante-seize ans, il s’attelle à la tâche de raconter son vécu.
Essentiellement connu en France pour la série Ashita no Joe, Tetsuya Chiba (né en 1939) est un monument au Japon, à l’instar de ses compatriotes et contemporains, Shigeru Mizuki (Kitaro le repoussant) ou encore Leiji Matsumoto (Capitaine Albator, Galaxie Express 999). Dans Journal d’une vie tranquille, il raconte d’une part des moments forts de son enfance passée en Mandchourie durant la Deuxième Guerre mondiale, à l’époque où le Pays du Soleil levant occupait ce territoire dépendant de la Chine, d’autre part des anecdotes tirées de son quotidien d’homme vieillissant.
Le regard porté sur ces deux époques se révèle à la fois authentique et amusé. Certes, le gamin d’antan a vu les bombes américaines passer au-dessus de sa tête, des voisins chinois s’en prendre aux ressortissants nippons de Shenyang, des connaissances mourir durant le long périple de leur rapatriement, mais il conserve, sous les pinceaux du maître, cette insouciance du lendemain propre à la jeunesse. Quant au senior d’aujourd’hui, il sourit sous cape des bévues des autres vieillards, tout en s’apercevant à son tour qu’il n’en loupe pas une. Le travail n’est pas en reste puisque l’auteur se met en scène à l’université où il donne des cours ou encore lors de réunions avec ses éminents collègues, que ce soit à l’occasion d’une partie de golf ou de funérailles.
Chaque saynète se décline en quatre planches et les scènes du passé alternent avec celles du présent sans à-coup, ce qui permet des respirations appréciables, tout en ménageant un léger suspens. Le trait est arrondi et expressif, le découpage précis assure une bonne lisibilité et les cadrages sont plutôt variés. Une colorisation aux teintes vives vient égayer l’ensemble.
Ce premier tome autobiographique, plein d’un humour bon enfant et attendri, se lit avec plaisir. À découvrir.
Au Japon, on ne peut pas laisser les vieux mangakas prendre paisiblement leur retraite. On leur demande de travailler jusqu'à ce que mort s'en suive. Le pire, c'est que c'est un état d'esprit dans ce pays de bosseurs. Le grand maître du manga Osamu Tezuka ou encore récemment Jiro Taniguchi ont épuisé leurs dernières réserves en produisant toujours plus d'oeuvres pour un public assez avide.
C'est visiblement le cas de Tetsuya Chiba assez connu (pour sa seule et unique) série Ashita no Joe que je n'ai d'ailleurs jamais eu l'occasion de lire. Un magazine lui demande de produire une autobiographie alors qu'il est maintenant âgé de 80 ans. Cela sera l'occasion de raconter sa vie dans la Mandchourie occupée par les japonais depuis 1931 et la fin de la Seconde Guerre Mondiale où sa famille et lui ont dû revenir dans l'archipel car chassé des terres conquises.
J'ai bien aimé son récit situé dans l'histoire mais un peu moins celui ayant lieu de nos jours. Il a vécu l'exil durant une enfance qui n'a pas été facile à cause de la guerre. C'est un aspect plutôt méconnu de cette guerre où l'on ne s'interresse généralement qu'aux gagnants. On comprend mieux par exemple les relations du Japon avec la Chine en proie à une guerre civile opposant les communistes et les nationalistes.
A noter que le manga sera entièrement colorisé ce qui est plutôt assez rare. Les couleurs apportent véritablement de la chaleur et de l'humanité à ce récit.
J'ai bien aimé le début de ce journal mais c'est tout sauf une vie tranquille !