A
près une intoxication au gaz, Jean Marie se retrouve en convalescence dans un hôpital religieux. Un comble pour ce farouche anticlérical ! Afin de tromper l'ennui et se changer les idées de ces soutanes et cornettes, le vieil homme couche sur le papier ses mémoires. Soixante-et-onze années au cours desquelles il s'en est passé des choses ! À la fois ordinaires et extraordinaires, ses péripéties dépeignent par la même occasion une Armorique authentique et âpre. Tout commence en 1834 à Quimper, dans une masure où une famille pauvre attend le curé pour baptiser un nourrisson qui, pâle comme la mort, n'en a plus pour longtemps. Au temps pour le cours de l'histoire, ce ne sera pas la dernière fois que l'insolent marmouset trompe l'Ankou.
Stéphane Betbeder adapte l'autobiographie d'une personnalité dont l'esprit et les pensées détonnent avec son époque. Ce serait à la suite d'une piqûre d'abeille que l'intelligence du jeune Jean-Marie Déguignet, alors âgé de neuf ans, s'éveille. Le récit est rythmé entre présent, souvenirs d'enfance et légendes typiques. Tel un conteur maître de sa verve, le scénariste capte l'intérêt du lecteur par les tribulations de ce petit bonhomme débrouillard qui, pour se sortir de la misère, placera la ruse et la mendicité au rang d'art. Intarissable, sa soif de connaissances le poussera rapidement à remettre en question les croyances populaires, les superstitions sacrées et la toute puissance religieuse. Réfléchir au sens de la vie et ainsi bouleverser l'ordre des choses, voilà qui risque fort de perturber son entourage simple. Dans ce début d'ouvrage, la différence de cet enfant bouillonnant se fait sentir progressivement au décours de ses expériences avec la vie et ses interactions avec la population de «sauvages». Sans misérabilisme, avec sincérité, les conditions et la mentalité du moment sont dépeintes, sans pour autant négliger d'évoquer la générosité de certains et les leçons formatrices des autres.
D'origine nantaise, Christophe Babonneau s'attelle à des bandes dessinées qui s'intéressent toujours, d'une manière ou d'une autre, à cette région au riche folklore. Son style ultra-réaliste ne manque pas de caractère et s'il souffre parfois de quelques maladresses dans les expressions du visage, les décors sont quant à eux agréablement vivants. Finalement, le but ici n'est pas d'être beau, mais authentique. Les couleurs naturelles en camaïeux d'Alex Gonzalbo retranscrivent de manière adéquate le contexte rustique, avec un rendu suranné de bon aloi.
Un premier tome qui, à travers un destin hors norme, offre une vision sans complaisance mais juste de la Bretagne profonde du XIXème siècle. Un témoignage relativement intéressant, qui change des clichés habituels offerts aux voyageurs.
Album indispensable, et j'espère que les tomes suivants seront du même acabit (c'est à dire dessinés par le même dessinateur, et avec le même scénariste).
Le titre est classé, à tort, dans la collection "contes de Bretagne", alors que cela devrait s'intituler "témoignages de Bretagne", puisqu'il s'agit d'une autobiographie tout ce qu'il y a de bien réelle.
Mais, Bretagne oblige, la réalité est rattrapée par les légendes, par les contes bretons dont je vous recommande la lecture, si vous ne les connaissez pas. Il est souvent question de la lutte contre le diable, qui fort heureusement perd souvent et fait preuve d'une vraie stupidité.
Le mariage entre réalité sociale et légendes bretonnes, religion et paganisme, donne un récit très agréable à lire et à regarder, malgré l'extrême pauvreté des personnages.
Je n'ai pas lu l'autobiographie dont s'inspire la BD, et je ne peux pas dire si le phénomène de littérature est fidèlement retranscrit ici.
Mais de ce que je sais de ma Bretagne, et ce que je vois dans l'album, me font dire que l'objet est beau et bien né. Un ovni graphique, mais fort et sans fioriture.
Une vraie expérience de lecture, pas une BD formatée pour plaire à une certaine intelligentsia.
J'ai d'abord été séduite par la beauté de la couverture. Puis j'ai savouré le dessin précis, délicat et expressif tout au long de l'album. Les auteurs plongent avec légèreté le lecteur dans la très grande misère du lieu et de l'époque et expliquent d'une manière étonnante comment l'auteur a échappé aux superstitions de cette population. Très agréable lecture.