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lors que Bruce Wayne s’apprête à inaugurer un centre pour enfants qui devrait porter le nom de sa mère, il se fait damer le pion par Oswald Cobblepot, alias le Pingouin, bien décidé à faire évoluer son image auprès de la population de Gotham, quitte à emmener ses actes de bienfaisance sur des pentes criminelles. On ne refait pas le maître du banditisme...
Pourtant, son bras droit, Ignatius Ogilvy, à la faveur d’une absence temporaire de son patron, va en profiter pour le spolier de ses biens et de son pouvoir. Il n’est pas décidé à se contenter d’un royaume alors qu’il peut conquérir un empire, et s’autoproclame l’Empereur Pingouin.
Bien qu’il tente de créer maintes diversions, ce nouveau méchant va attirer l’attention de l’homme chauve-souris. Ce dernier trouvera là un adversaire redoutable par sa capacité à brouiller les cartes et à multiplier les écrans entre le justicier et lui-même. S’interposeront ainsi l’éco-terroriste Poison Ivy, le puissant Gueule d’Argile et le fantôme du Joker, absent de l’histoire, mais dont l’influence maléfique crée des vocations de serial killer chez les déséquilibrés terrés dans les recoins obscurs de la cité.
Dans cet ambitieux récit de plus de trois cents pages, le scénariste John Layman (Chew, Batman Eternal) et les dessinateurs Andy Clarke (Judge Dredd, Batman) et Jason Fabok (Justice League, Batman) reviennent aux fondamentaux de la série, aux codes qui en ont constitué l’âge d’or, à savoir ceux du polar. Même si quelques pouvoirs extraordinaires ont droit de cité (ceux de Poison Ivy) ou des morphologies « particulières » (Gueule d’Argile ou les mutants du docteur Langstrom) s'invitent, l’enjeu est une main mise, dans un premier temps, sur la pègre puis, dans un second temps, sur l’économie de Gotham City. Oswald Cobblepot a pignon sur rue grâce à son casino et mène un réseau criminel évoquant la Mafia. Le docteur Merideth est un psychiatre qui manipule ses patients les plus violents pour assouvir ses pulsions les plus sombres. Batman, bien que bardé de technologie, est un justicier qui a du mal à faire face à tous les défis qui se présentent à lui simultanément ou à comprendre le sens de certains événements. Il n'y a là guère de super-héros, mais plutôt des tensions entre individus ayant tous leurs fragilités et leurs excès.
L'esthétique est sombre et oppressante. L’histoire se déroule exclusivement de nuit. Il pleut sans cesse. Les couleurs tendent invariablement vers le gris, le noir ou le tamisé. Tout est pris dans l’obscurité étouffante de la Gotham nocturne ou l’éclairage glauque des intérieurs (prison, Arkham Asylum ou usines désaffectées). Le récit est construit avec rigueur et efficacité. Les dialogues sont écrits avec finesse et ce qu'il faut d'ironie. La pluralité des épisodes et des personnages ne nuit en rien à la cohésion de l’ensemble.
L’équilibre est trouvé entre un Batman classique et de nouvelles idées pertinentes. L’Empereur Pingouin est incontestablement une réussite à tous points de vue. À bientôt 80 ans, le justicier masqué n’a pas fini de stimuler les imaginations et d’offrir de véritables plaisirs de lecture.
Detective Comics n’a pas eu l’honneur d’être publié en librairie mais Urban Comics semble décidé à rattraper le coup en publiant ces épisodes sous forme de récits complets : "Empereur Pingouin" pour commencer puis sa suite directe, "Jours de colère", à venir prochainement (Detective Comics 2011, #13-21).
Oswald Cobblepot, alias le Pingouin, se fait doubler par son assistant aux dents longues, Ignatius Ogilvy, qui ne tarde pas à se proclamer Empereur Pingouin et à reprendre son business. Mais la confrontation avec Batman attendra. En effet, l’intrigue scénarisée par John Layman est construite de manière à ce que ce nouveau personnage ne soit qu’un fil rouge tout du long des neuf épisodes regroupés ici, un personnage qui joue sa partition dans l’ombre jusqu’au dénouement final. Une façon de procéder efficace mais répétitive.
Ainsi, avant d’en arriver à la confrontation tant attendue, il faut en passer par les assassins de Li, Poison Ivy et Gueule d’argile, le Boute-en-train et ses clowns de la Ligue des sourires, Zsasz, les chauves-souris Man-Bats, bref une galerie d’adversaires bien trop fournie qui, à la longue, donne l’impression qu’ils ne sont présents que pour défiler face à Batman. D’autant plus que la forme de chaque épisode est également un peu toujours la même : un futur pour mettre en tension dès la première page, un présent pour en expliquer le cheminement et un épilogue pour raconter le passé. Très classique.
Malgré tout, la lecture est assez plaisante. La relation ambigüe de Batman avec le Pingouin est bien travaillée, le volet enquête n’a pas été oublié, il y a de quoi lire sans pour autant que l’histoire ne soit trop bavard et le dessin de Jason Fabok, tout en noirceur, correspond parfaitement à l’ambiance du récit.
PS : A noter qu’il est préférable d’avoir lu au préalable Batman Renaissance pour saisir le contexte de cette histoire.