Demon (Shiga) 1. Volume 1

Q uand, après une demi-douzaine de tentatives radicales de suicide, Jimmy s'est réveillé à chaque fois dans son lit comme si rien ne c’était passé, c’est qu’il y a quelque chose de pas net avec lui ou la réalité. Rêve-t-il ? Le bon Dieu joue-t-il avec ses nerfs ? Aurait-il une mission mystique à remplir avant de disparaître ? Allez, encore un petit essai, au gros calibre cette fois, histoire d’en avoir le cœur net.

En « réactivant » Jimmy Yee, le héros de Vanille ou chocolat ?, Jason Shiga annonce la couleur. Demon, une ambitieuse saga prévue sur quatre tomes, va détonner et surprendre. Le scénario démarre comme une version gore du Jour de la marmotte, puis, rapidement – le FBI en mode X-files débarquant - se transforme en un thriller improbable mâtiné de road movie façon Le Fugitif. L’ensemble ne serait qu’un énième album parodique sans l’esprit mathématique de l’auteur de Bookhunter. En effet, Jimmy, au lieu de paniquer, prend le temps d’analyser quasiment scientifiquement sa situation. La nature violente et sanguinolente de la narration trouve alors un pendant plus qu’inattendu dans une approche terre-à-terre des plus cartésiennes. Le mélange étonne et séduit. Le rythme soutenu, le ton grand-guignolesque à souhait, l’humour au second degré et, surtout, les trouvailles les plus invraisemblables qu’imagine le protagoniste pour s’échapper des griffes de la justice, rendent la lecture prenante et jouissive.

Les illustrations, à mi-chemin entre le minimalisme et le naïf, se révèlent parfaitement adaptées. Presque schématique, cette simplicité volontaire est renforcée par une mise en couleurs en bichromie (avec beaucoup de rouge sang évidemment) faussement frustre. Néanmoins, cette économie de moyens apparente n’est en rien gratuite, le dessinateur utilise ces contrastes pour renforcer son discours. En artiste méthodique, il a décomposé son univers en unités autonomes pour mieux construire son «logiciel». À ce propos, la mise en page dynamique (l’agencement des cases qui accompagne l’action est admirable de fluidité et d’invention) apporte un dernier clin d’œil au monde de la logique par son allure suggérant les organigrammes et autres flow charts techniques.

Riche et admirablement réalisé, Demon se révèle être avant tout un excellent récit jouant sur les stéréotypes : suspens, rebondissements à gogo, références au cinéma, etc. sont au programme. Shiga s’est visiblement beaucoup amusé en écrivant les tribulations de son alter-ego : le résultat est contagieux !