L
yon, années 2010. Michel, un employé de bureau comme il en existe des milliers, commence à douter de lui. La routine du quotidien le mine de plus en plus et la dépression le guette. Il en est conscient et lui qui n’abuse pourtant jamais des congés maladie, envisage réellement de faire une visite à la médecine du travail. Profondément impressionné par l’attentat du 11 septembre et captivé par l’architecture verticale de sa ville, il a développé une fascination morbide pour les défenestrations et la chute des corps. Sa psychose va vraiment décoller (!) quand, au hasard d’un repas au restaurant, il croise pendant une fraction de seconde le regard de Domingues, un sombre repris de justice. Quelques heures plus tard, ce dernier saute du quatorzième étage de la préfecture de police, avant de s’écraser au sol. C’en est trop pour l’esprit déjà instable de Michel désormais littéralement envoûté par la victime ; à force de recherches frénétiques sur internet, cette existence marquée par la pire des violences devient sienne.
C’est mission impossible que de vouloir classifier Prof. Fall, l’ambitieux album fleuve signé Tristan Perreton et Ivan Brun. En effet, ce qui commence comme un récit intimiste sur la difficulté de vivre et l’aliénation engendrée par un environnement bétonné, se transforme petit à petit en une fable quasi-fantastique sur fond de réquisitoire à propos des enfants soldats et des diamants de sang qui financent les guerres sur le continent africain, le tout sans quitter la région Auvergne-Rhône-Alpes. Confus ? Sans réelle direction ? Même pas ! Le scénario, finement écrit, s’avère d’une solidité à toute épreuve. L’évolution du délabrement psychologique du héros, le fil des événements entre Rhône et Saône et les passages quasiment didactiques sur les conflits au Mozambique ou en Angola s’enchaînent logiquement. Séduit ou pas, le lecteur n’a pas le choix, il accompagne le malheureux malade dans un déferlement d’émotion et d’horreur.
Oppressante, d’une brutalité insoutenable par moments, l’histoire dérange, choque, mais subjugue immanquablement. Le crédit en revient à l’impressionnant travail documentaire et la rigueur graphique d’Ivan Brun. Contrairement à No Comment et War Songs, le dessinateur a choisi une approche réaliste pour illustrer ce vrai-faux voyage intérieur. Que l’action se déroule aux pieds de grands ensembles immobiliers, sur des berges quasi-sauvages ou quelque part dans le sud de l’Afrique, le résultat est glaçant d’efficacité. Souvent photographique, le trait conserve néanmoins une part de fragilité ou de fissure qui renvoie immanquablement à la personnalité délitée du personnage principal.
Mêlant la précision d’observation du Blast de Manu Larcenet et la colère infiniment éplorée de Jean-Philippe Stassen dans Déogratias, Prof. Fall est implacable, tant sur le fond que la forme.
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