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lors que son petit frère doit subir une opération, Louis est inscrit, contre son gré, à un camp scout. Avec son imperméable rouge (pourquoi est-il jaune sur la couverture ? c’est un grand mystère), il rappelle le célèbre chaperon. Mais dans ces bois, il n’y a pas de loup ; on se demande qui pourrait bien le dévorer. D’abord les ténèbres, puis un léopard en cavale, sans oublier les condisciples plus âgés, lesquels font figure de tortionnaires. À moins que ce soit le deuil. Totémisé en renard, le héros conserve son masque, s’enfuit et incarne l’animal qui le représente. Défiant la nuit, il marche dans la forêt, se réfugie dans un bunker de la ligne Maginot aux côtés du félin que tous recherchent, puis il montre les crocs à ses bourreaux. Il n’y aura que Mila, la jeune cheftaine, pour apprivoiser la bête et lui retirer son déguisement.
L’histoire racontée par Nicolas Wouters est finement menée. D’entrée de jeu, il sert une mise en abyme. Dans un songe, l’aîné est chirurgien. Il opère son cadet, lequel ne survit pas à l’intervention, il est triste et désespéré. Tout est dit… et tout commence. Oscillant entre le rêve et la réalité, le scénariste construit une fable sur la douleur et la fin de l’enfance. On notera l’absence totale des parents de Louis, sinon sous la forme d’interlocuteurs lointains et invisibles lors de rares conversations téléphoniques.
Le dessin charbonneux et nerveux de l’Allemand Mikaël Ross porte le récit et exacerbe toute la violence des émotions qui affligent le jeune homme. Il y a très peu de lumière dans cette histoire aussi sombre que les crayons de l’illustrateur. La plupart des scènes se déroulent la nuit, les autres sont à l’ombre des arbres qui filtrent les rayons du soleil. La mise en couleur contribue subtilement à la profondeur de la fable. Le vêtement écarlate du début fait place au pelage roux du canidé qui devient carrément noir. Le foulard couvrant la tête du défunt se confond pour sa part avec les cheveux blancs et ras de la monitrice. Le petit frère est ainsi symboliquement remplacé par une grande sœur.
Un conte moderne et intelligent où le dessin est au service du texte et le texte au service du dessin.
Lorsqu'on est encore un petit garçon de 12 ans, la perte d'un être cher peut paraître encore plus terrible. Il faut exorciser une peine qui ne part pas et il faut vivre avec. En l'occurrence, Louis va se réfugier dans le scoutisme. Est-ce cependant une si bonne idée ? Il devra subir les brimades de ses camarades. Il se forgera un caractère afin d'évoluer vers la maturité.
J'ai bien aimé le début et la fin de ce récit dont le thème principal est l'exploration de l'adolescence. Par contre, c'est beaucoup trop long avec un dessin parfois un peu brouillon. Pour autant, le graphisme laisse parfois échapper l'émotion dans son expressivité. Il y a également une bonne maîtrise des couleurs car on se sent véritablement oppressé à la lisière de cette forêt à la fois terrifiant mais hypnotisant.
Totem est une bd initiatique sur la dureté de l'enfance. Malgré son côté âpre, il en ressort quelque chose de positif comme une espèce de renaissance salutaire.