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ncien dessinateur d’animation devenu scénariste, Juan Díaz Canalès se (re)met à la planche à dessin pour Au fil de l’eau paru chez Rue de Sèvres. Ainsi, après le polar anthropomorphique, le fantastique (Fraternity), l’humour (Les patriciens) et la résurrection d’un mythe avec le dernier volet de Corto Maltese, le dessinateur madrilène se lance dans un one-shot en noir & blanc au registre des plus classiques, preuve – s’il en était besoin – de son éclectisme.
Autour du temps qui s’écoule imperturbable et de son issue inéluctable, Juan Díaz Canalès met à plat une certaine conception de la vie. Plutôt que de s’essayer à de métaphysiques circonvolutions, il ancre son récit dans les quartiers populaires de Madrid, peuplés de cette classe moyenne qui voit la crise doucement l’entrainer vers la paupérisation. À travers le destin de Niceto, ancien militant républicain, il est alors question de désillusion - au travers d’un fils catholique fervent -, mais également d’espoir en l’avenir grâce à un petit-fils plus près de Podemos que du Partido Popular. Présenté comme un polar, Au fil de l’eau utilise une série de meurtres comme fil rouge, mais relève plutôt de la chronique sociale du temps qui court à travers les générations et qui finalement met tout le monde face à sa finitude. Niceto en a pleinement conscience, mais n’espère-t-il pas qu’un peu de lui-même subsistera quand son futur arrière-petit-fils naîtra ? Face à tant de matière et quelques jolis passages, le scénario se trouve à l’étroit même sur quatre-vingt-dix planches et il n’aurait pas été inutile de s’attarder plus sur la psychologie de personnages trop nombreux pour être pleinement approfondis. Toutefois l’essentiel est dit, mais l’indicible - propre aux relations humaines - peine à prendre toute son ampleur.
Si Juan Díaz Canalès n’a pratiquement plus rien à prouver en matière de scénario, c’est sur son dessin qu’il se met en danger. Après un prologue riche de belles promesses, la suite s’avère plus déconcertante. Alors que les décors sont parfaitement maîtrisés à l’image de la couverture de la version espagnole, les personnages ne font pas toujours preuve de la même maturité laissant encore une marge de progression dans la fluidité du trait ainsi que dans la finesse de certains encrages par trop appuyés, mais desquels se dégage une empathie qui recentre l'album sur les valeurs qui le sous-tendent.
À sa manière, Au fil de l’eau contribue à démontrer qu'une chronique reste, avant tout, un exercice subjectif !
Cette histoire m’a vraiment mis mal à l’aise. La vie d’octogénaires à Madrid qui font un trafic d’objet volés ! Ils ont eu une vie extrêmement dure et ne peuvent prétendre à une retraite convenable tel que tout un chacun est en droit d’imaginer. Ce livre est sombre, tellement sombre que je n’y aperçois aucun rayon de soleil concernant l’avenir. Niceto a un vrai problème concernant les raisons de l’existence et sa réflexion sur l’immortalité, même si elle bien réelle, doit être mise de côté sinon pourquoi vivre ?
Les dessins sont excellents, mais quel besoin de faire une histoire pareille ? Du coup, je trouve que les assassinats des amis de Niceto passent au second plan et que tout ce pessimisme ambiant brise une histoire qui aurait pu être remarquable.