A
urore est une adolescente « jamais contente … toujours fâchée », comme l’indique le sous-titre de l’album. Perdue au sein de sa famille, s’ennuyant au collège, instable dans ses amitiés, elle combat le monde entier et voudrait connaître l’amour. Mais rien ne se déroule jamais comme elle le désire. Sait-elle vraiment ce qu’elle veut, d’ailleurs ? Rien de moins sûr. Alors, aidée par la copine complice Lola, elle multiplie les révoltes, les situations intenables, les déceptions et les échecs. Elle tente de tromper l’ennui par la rédaction d’un journal intime. C’est celui-ci qui est livré, avec sa subjectivité, ses partis-pris et sa mauvaise foi.
Le Journal d’Aurore est l’adaptation en bande dessinée des trois livres éponymes à succès de Marie Desplechin. Pour l'occasion, elle s’associe à Agnès Maupré, qui co-écrit le scénario et réalise le dessin. Ainsi, se développe tout l’univers de la jeune fille, c’est-à-dire ses cauchemars : la petite sœur, écolière brillante, la grande sœur obsédée par son piercing à la langue, les parents qui ne comprennent rien, les grands-parents ennuyeux, les élèves du bahut, « des cloportes et des trolls », et Lola, dont les conseils ne sont pas toujours d'une aide précieuse.
Marie Desplechin, qui a dû emprunter beaucoup à sa vie de mère de famille, livre un portrait drôle, tendre et compatissant d’une teenager qui s’extrait difficilement de l’enfance sans parvenir à intégrer l’univers des adultes. Pas de morale ni de moquerie dans cette peinture, mais un point de vue qui traite par l’humour toutes les divergences entre le personnage principal et son environnement. Par une succession d'états cocasses, de jugements de valeur à l’emporte-pièce et de formules cinglantes, l'auteure transforme le drame d’Aurore en récit à la drôlerie irrésistible.
Par son trait simple et expressif, Agnès Maupré révèle la torture permanente de l’adolescente. Celle-ci est sans cesse représentée dans des postures alambiquées, défiant les lois de l’équilibre et les règles du savoir-vivre. Elle montre une "créature" qui ne sait pas quoi faire de son corps, de ses bras trop longs et des jambes à l’élasticité inconfortable. Aurore n’est jamais assise ou posée ; elle est toujours vautrée ou en mouvement, la posture du corps faisant miroir à la psyché tourmentée.
Drôle, faussement léger, Le Journal d’Aurore pose un regard amusé et tendre sur cette jeunesse qui a du mal à entrer dans un monde qu’elle ne comprend pas, dont elle relève avec impertinence les contradictions et le côté absurde. La naïveté reprend ses droits, non comme une ligne de conduite convenue et vaine, mais comme une forme de lucidité légitime et salvatrice. À mettre entre toutes les mains.
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