A
u moment de leurs fiançailles, lorsqu'on demanda au Prince Charle et à Lady Di s'ils étaient amoureux (quelle sotte question !), le premier eut une réponse assez sibylline et inappropriée pour un jeune fiancé : " oui, quel que soit le sens qu'on donne au mot Amour".
Que signifie justement ce terme "Amour" qu'on sert à toutes les sauces, que ce soit dans les œuvres artistiques, dans la publicité, dans le développement personnel, dans la conscience collective ? Quel est ce sentiment porté aux nues, ce saint Graal que tous espèrent obtenir ? Liv Strömquist limite l'exercice à l'idéologie dominante en occident, celle du mâle blanc, hétérosexuel, anglo-saxon. Et heureusement, tant la masse d'informations déferle comme un tsunami !
C'est d'abord un constat, accablant, du fossé émotionnel entre les deux sexes. D'un côté, des hommes qui ne peuvent pas se passer d'une compagne, mais qui sont conditionnés à les frustrer par leur égocentrisme et leur incapacité à gérer leurs sentiments. De l'autre, des femmes qui s'oublient en acceptant de se mettre aux petits soins d'un goujat qui ne les comble pas. Chaque page est percutante, s'appuyant à la fois sur les travaux de psychologues et sociologues ainsi que sur des références à des amours célèbres.
L'amour à l'occidentale ne serait donc que l'expression pathétique de deux manques ? La notion de couple définie par les modèles culturels se limiterait qu'à un droit de propriété sur le corps de l'autre ? Que dire des clichés qui véhicule l'idée d'une femme gagnante (et obsédée) par le mariage alors que toutes les études montrent que c'est dans le célibat qu'elle s'épanouit, contrairement à l'homme, qui a besoin d'être dans la relation pour se sentir indépendant ? L'auteur prend le temps de s'attarder sur les mécanismes de dépendance affective dont les gourous ès-séduction abreuvent leur auditoire : susciter des réactions brutales de manque et de rejet, user de la violence sous toutes ses formes pour obtenir en retour une soumission sans borne nommée "amour". Heureusement que les dernières pages donnent une piste pour sortir de cet engrenage pathogène.
Afin de ne pas sombrer dans la dépression après cette lecture, il convient de relativiser. Les démonstrations à base de psychologie s'appuient sur des archétypes comportementaux dont chaque être humain est une combinaison spécifique et seuls quelques individus correspondent à 100% du modèle de référence. Il est donc intéressant de connaître ces modèles et donc d'analyser dans quelles circonstances, l'être se transforme en "bombonne' ou en tyran narcissique pour reconnaître une relation toxique. De plus, les exemples proposés appartiennent tous à une époque passée.
Pavé de science humaine, les sentiments du Prince Charles est un magnifique roman graphique dont les illustrations valent à elles seules le détour. Avec un train faussement naïf, Liv Strömquist compose des merveilles métaphoriques dans un beau noir et blanc à l'encre de Chine. Certaines cases sont une démonstration intrinsèque de théories complexes. Dommage qu'il faille prendre du recul pour faire la part des choses derrière les caricatures.
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