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ls s'appellent K, M, Y… Des ados pour qui devenir adulte, dans ce Japon rendu méconnaissable par le boom économique de l'après-guerre, ressemble plus à une torture qu'à une chance d'épanouissement. Les anciennes valeurs ont été balayées par la bombe atomique, les nouveaux penseurs s'enlisent dans la dialectique marxiste, alors que l'empereur est toujours bien en place dans son palais. Il y a de quoi devenir fou et tenter le Diable !
Eiji Otsuka n'en a pas fini avec les années 60 ! Après l'excellent Unlucky Young Men et ses personnages échoués entre rêve et violence sur un air de jazz, il se penche sur d'autres héros dégoûtés par leur pays et séduits par un extrémisme fascisant et nihiliste. Reliant les deux récits, Yukio Mishima, le célèbre écrivain au destin tragique, rythme les pages de ses poèmes. Violent et engagé, Mishima Boys est également une œuvre quasi-expérimentale à la narration déconstruite et souvent volontairement déconcertante. En effet, le scénariste avance plus comme un combattant que comme un conteur. Les différentes scènes s'entrechoquent et se fusionnent sans aucun avertissement préalable, alors que les protagonistes semblent se dédoubler et les personnalités se transférer d'un corps à l'autre. Heureusement, au milieu de ce maelstrom théorique, quelques épisodes historiques avérés permettent de donner quelques points de références solides. Le résultat est impressionnant, mais vraiment difficile à apprécier tant Otsuka prend un malin plaisir à jouer sur les faux-semblants et à brouiller les pistes.
Aux pinceaux, Seira Nishikawa mêle également les genres. Le dessin passe sans vergogne d'un style shonen à gros yeux à un réalisme photographique, en passant par des déformations informatiques (trait trouble, zoom infini, etc.). La réalisation est probante, car cette approche sans concession colle parfaitement avec le propos. Ainsi, la distanciation voulue par le scénariste devient littéralement tangible quand certains visages sont montrés vides et blancs ou, qu'à l'inverse, les regards se braquent vers le lecteur.
Avis aux courageux : album mené tambour battant sur la lame du katana, Mishima Boys ne laisse aucun répit et demande un engagement au moins aussi complet que celui de ses acteurs pour bien s'apprécier.
Le contexte historique et social du Japon d’après-guerre est en guise de toile de fond. Mis à part cela, cette œuvre sera difficile d'accès pour un lecteur lambda. Elle est à la fois immersive et plutôt assez exigeante. J'avoue avoir perdu patience en cours de route.
Le graphisme très épuré avec très peu de décors ne m'a pas beaucoup attiré. Pour le reste, le récit s'enfonce un peu dans des délires psychotiques. Il est vrai que je n'aime pas trop ce style mais on ne peut jamais le savoir à l'avance quand on aborde un manga tant ils sont différents selon le traitement. Quand ce n'est pas naïf, c'est morbide. Pas de juste milieu.
Pour le genre, c'est un peu inclassable entre l'historique, le thriller et la chronique sociale.