Regarde les filles pourrait introduire avec justesse, et bonheur, Une vie d’amour de Nicoby. Si, en apparence, tout éloigne ces deux albums, la flamme qui les anime danse sous les mêmes vents, ceux de la relation amoureuse, de l’érotisme et d’une certaine simplicité. Une vie d’amour est une bande dessinée souple, de petit format, composé de quelques planches aux couleurs chaudes et animées par un trait lâché, retraçant la belle histoire d’un couple à travers certains instants forts de sa vie sexuelle. Regarde les filles est un livre massif, réalisé en noir et blanc, dont l’esthétisme recherché de la couverture cartonnée annonce le caractère séduisant du contenu.
Antoine, puisque c’est de son regard qu'il s’agit, s’éveille aux attraits de l’autre sexe, à l’étonnement et au trouble des contacts, à la sensualité des courbes et des gestes, cela peut-être d’autant plus qu’il est doué en dessin. L’auteur, François Bertin, se garde bien de préciser quelle est la part d’autobiographie dans la réalité de son récit (1). Peu importe en fin de compte, tant ce qu’il narre relève à la fois du commun et de l’intime. Son personnage n’est guère loquace, il offre à percevoir mais n’en livre pas plus sur ce qu’il ressent, laissant ainsi à chaque lecteur le soin de conférer la profondeur qui lui convient à ce qu’il voit. Un jeu de cartes maladroitement tenu, l’inattention d’un instant sur une balle de match, un passage à niveau franchi consciemment avec inconscience... autant de faits qui n’ont rien d’anodin et qui demandent à en dire davantage, autant de petits riens qui accompagnent l’évolution de l’enfant, de l’adolescent puis du jeune adulte dans son rapport aux filles puis aux femmes.
C’est avec une spontanéité travaillée, délicatesse et esprit, que François Bertin évoque les premiers émois et les étapes plus ou moins glorieuses qui amènent vers un je ne sais quoi d’apaisé. Une affriolante publicité pour un gel douche, la grande sœur d’un ami faussement ingénue, un premier baiser organisé, une partie d’action ou vérité tout en tension, avancer à tâtons, avec les joies et les frustrations qui vont avec, jusqu’à le faire, puis le faire en s’abandonnant. Le dessinateur laisse du temps au temps, n’hésite pas à laisser dériver son récit. Ses planches sont agréables à parcourir, aérées, exemptes de dialogues pour nombre d’entre elles. Dans cet enchaînement fluide des choses, parfois sans prévenir, il introduit des accélérations qui sonnent comme la fin d’une époque et, plus encore, comme l’ouverture du champ des possibles vers de nouvelles perspectives. Regarde les filles évoque la construction de soi à travers la relation à l’autre : se laisser bercer par les événements, avoir l’illusion d’une certaine maîtrise, puis grandir pour se défaire des liens.
1) Sur ce point, l’entretien qu’il a eu en mai 2015 avec Thierry Groensteen pour le site Neuvième Art 2.0 ne laisse aucun doute.
Si le trait est effectivement séduisant, j'ai eu plus de mal avec le scénario au ton bien trop lisse et distant. Le regard neutre et détaché que pose Antoine sur ces filles finit par lasser, j'aurais aimé qu'il "joue" de temps à autre mais il reste désespérément spectateur de ses émotions sans parvenir à bousculer ou imposer son point de vu.
Pas emballé au final, mais c'est très personnel !