L'Œil de la Nuit (Lehman/Gess) 3. Le Druide noir

T héo Sinclair est devenu l’Œil de la Nuit. Ses nouveaux pouvoirs, dont il cherche encore à comprendre l’étendue, l’obnubilent et menacent de le changer en un être froid et brutal. Il compte désormais traquer le fakir Ardavena, responsable de l’état catatonique dans lequel son ami le docteur Al-Mansour est plongé. Pour l’aider, Clémenceau lui conseille de passer voir Sâr Dubnotal, le meilleur détective psychique de Paris. Toutefois, il va devoir reporter sa chasse car une entité maléfique vient de surgir d’outre-tombe et menace de faire revenir un ancien dieu.

Les deux tomes précédents décrivaient la transformation de Théo Sinclair, jeune aristocrate cardiaque et effacé, et ses premiers pas en tant que surhomme. S'attachant à l’évolution de son personnage principal, Serge Lehman tisse un habile questionnement autour de l’évolution de son héros, qui loin de devenir une entité monolithique, un redresseur de torts sûr de son bon droit et de la justesse de ses actions, laisse apparaître une certaine complexité et ambivalence.

Dans le cas présent, Sinclair va avoir besoin de toute sa force pour affronter les dangers qu’il semble attirer. Le scénariste de Métropolis fait à nouveau preuve d’une imagination fertile pour bâtir une histoire débridée, faite de coups d’éclats et de rebondissements. Il plonge avec délectation, et le lecteur avec lui, dans le foisonnement de la littérature populaire du début du vingtième siècle et la mythologie antique : pouvoirs psychiques, druides, dieux celtes et démons assyriens sont au rendez-vous. La narration s’appuie sur le talent de Gess qui, dans un style rappelant celui de Mike Mignola, livre des planches d’une grande fluidité. Le dessinateur claque de superbes pleines pages et change de style selon les séquences, telles ces insertions qui semblent issues d’un roman-feuilleton des journaux de l’époque. Les choix de Delf aux couleurs participent pleinement à la construction des ambiances et à ce côté romantique et suranné qui se dégage de cette œuvre.

Ce troisième épisode est encore un régal. Malheureusement, il semblerait que ce soit le dernier, la série n’ayant pas trouvé son public, ce qui ne manque pas d’étonner et de laisser beaucoup de regrets compte tenu de la qualité affichée jusque-là et du potentiel de développement. L'arrêt est brutal mais fait proprement, ne lésant aucunement les lecteurs actuels et n'empêchant pas de nouveaux de s'intéresser à cette série qui vaut largement le détour.