« Tu me fais peur, Moktar. Je suis désolé... Je sais que ce n'est pas bien ! Ce n'est pas parce que je dessine, je ne suis pas caricaturiste ! Plus jeune j'aurais aimé l'être. Mais j'ai laissé tombé, je suis trop lent... Pas assez cruel... J'ai toujours peur de blesser les gens...»
C'est par ces mots que Yann Madé commence son courrier (dessiné). Avec cette lettre ouverte, il tente d'expliquer comment un militant engagé comme lui a pu, peu à peu, se laisser gagner par cette peur de l'autre, de l'étranger, du Musulman, de l'Arabe, de Moktar. De son enfance au début des années 1970, dans un HLM du sud de la France, à son pavillon « loin des quartiers Nord » en 2015, de Giscard à Hollande, de SOS Racisme et son « Touche pas à mon pote » à la coupe du monde 98 et sa France « Black Blanc Beur », il revient sur les mutations de la société française au cours des quarante dernières années.
Religion, intégration, économie, pensée coloniale, diversité, communautarisme, militantisme, l'auteur apporte son éclairage sur tous ces bouleversements vécus de l'intérieur et décrypte ces « mots en isme qu'on plaque sur des idées simples ». Sans fausse pudeur ni manichéisme il livre son point de vue, ses regrets, ses inquiétudes, ses réflexions face à la montée de la peur et de la haine dans le monde.
Derrière la voix off, les cases se succèdent en noir et blanc. Caustiques ou caricaturales, elles confèrent de la distance au propos. Grâce à ces touches d'humour, l'auteur tourne en dérision ses espoirs et ses désillusions face à l'évolution récente de notre pays.
Intelligente et drôle, la lettre de Yann Madé, au trait parfois hésitant, vise très souvent juste sur le fond. Un récit humaniste, touchant et intimiste mais qui parlera à tous. À condition, comme il est dit dans les remerciements, que les lecteurs, malgré la peur, aillent au-delà de la seconde page.
Suite aux attentats de 2015, il y a eu une véritable cassure en France et surtout dans le cœur des gens. La société et surtout sa pensée a beaucoup évolué même chez les plus tolérants. Beaucoup ne croit plus en une France multiculturelle à savoir black, blanc et beur. Tout cela, c’était avant. Il y a un après. On ne sait pas encore où tout cela va nous conduire. On craint le pire mais il reste toujours un espoir que les choses s’arrangent.
Là, nous avons un auteur Yann Madé qui ose nous donner sa vision un peu personnelle de la situation sur ce qui a amené à ce déferlement de violence. Les attentats ne sont pas évoqués mais c’est à l’esprit. Il est question de racisme et de la peur de l’autre. Moi, j’avouer aisément comprendre cette peur presque irrationnel mais qui se base pourtant sur des faits réels. Ils nous haïssent réellement et nous devons faire face sans angélisme.
Je salue le courage de l’auteur même si je ne partage pas tout à fait sa vision des choses. Dans sa démonstration, il y a beaucoup d’éléments qui me sont apparus comme assez pertinents. Je sais qu’il y a une certaine pudeur à ne pas parler de ces choses-là. On va faire comme nos ainés avec la guerre d’Algérie qui parlait des événements. L’auteur d’ailleurs cite cet exemple assez éloquent. On essaye d’effacer de notre mémoire ces petites choses qui dérangent afin de pouvoir continuer à vivre tous ensemble dans le calme, l’harmonie et la paix.
Une lecture assez courageuse qui pousse à la réflexion. Avec cette bd, on entre dans une France qui a du mal à boucler ses fins de mois loin des analyses médiatiques qui sont dirigées par la bienpensante. C’est vrai que la construction de cette bd est un peu brouillonne. Mais au-delà de cela, ce sont des propos qui ne manquent pas de sens bien au contraire.