C
hine, toute fin du XIXe siècle. Excédés par les brimades et le cynisme des Occidentaux qui, peu à peu, ont pris les rênes du pouvoir, une partie du peuple se soulève. La révoltes des Boxers (ou Boxeurs) durera trois ans avant d'être réprimée dans le sang. Petit Bao profite de cette révolution pour s'affirmer vis-à-vis de ses frères. Après un apprentissage fait d'un mélange de kung-fu et de songes mythologiques, il prend part aux combats et se hisse à la tête du mouvement. Convaincus de la supériorité de ses traditions, lui et ses compagnons d'armes vont semer la terreur dans les terres, massacrant colons et « collaborateurs » tombés sous le charme d'une nouvelle religion : le christianisme. Quatrième, une jeune femme, emprunte le chemin inverse. Fuyant la même misère et une famille qui la néglige, elle se convertit et reçoit le baptême. Ces deux trajectoires vont se croiser sur la route de Pékin, sans se comprendre.
Double album ambitieux, Boxeurs & Saints explore les croyances orientales et occidentales, ainsi que leurs limites terrestres. Les ouvrages peuvent également se lire comme une fresque historique basée sur un épisode dramatique de la fin de L'Empire du Milieu. Lui-même fruit de ces deux cultures – il est arrivé enfant aux USA et a grandi dans la communauté catholique chinoise de San José –, Gene Luen Yang (American Born Chinese) s'est investi pleinement pour raconter ces destins opposés. D'un côté, Boxeurs débute comme un récit d'aventure riche en secrets et en créatures fantastiques, avant de verser dans la tragédie classique, alors que la cause exige des sacrifices intolérables. De l'autre, Saints se lit comme un journal intime gorgé de peurs et de visions mystiques. En toile de fond, une Chine en plein déclin sert de cadre à ces romans initiatiques.
Chargée de symboles et de références, la narration s'avère parfaitement au point, mais est presque un peu trop sage. En effet, la ligne claire et le découpage terre-à-terre de Yang donnent une atmosphère quasiment enfantine à l'ensemble, y compris dans les moments les plus sanglants. De plus, les couleurs un peu ternes et monotones ne rendent vraiment pas honneur à la qualité globale de l’œuvre (thématique, esthétique, psychologie des personnages, etc.). Malgré ces bémols, un sentiment de maîtrise, autant sur le fond que sur la manière, ressort. Même si un peu plus de mordant n'aurait pas été de trop, les propos de l'auteur se révèlent convaincants et finement mis en scène.
Bridé par un emballage typé « grand-public », Boxeurs & Saints pourrait laisser sur leur faim les amateurs de sagas épiques et de grands spectacles. Néanmoins, grâce à un scénario bien pensé et une exécution précise, ce vrai-faux diptyque possède suffisamment d'atouts pour satisfaire les bédéphiles exigeants.
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