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ne atmosphère de fin de règne pèse sur le récit dès les premières planches. Un lieu, une époque, une famille dont les heures de gloire appartenaient déjà au passé : les Von Schlitt. Le père, une figure du passé, justement, massive, cassée à l’extérieur comme à l’intérieur, se tient debout pour maintenir ce qui reste d’apparences. La mère - maman est gravement malade - s’est retirée dans un sanatorium à Davos, ne supportant plus l’évolution d’une société qu’elle juge avec un mépris à la hauteur de ses éternels regrets. Le fils aîné, Oswald, au caractère bien trempé, a intégré l’école royale des cadets de Prusse - Le cadet le plus prometteur de la compagnie ! Tu fais honneur à notre nom. Enfin, son petit frère, qui semble destiné à suivre la même trajectoire - Les Von Schlitt servent dans la cavalerie. Il en a toujours été ainsi et il en sera toujours ainsi. -, mais qui reste perdu dans ses pensées - Ludwig paraît tellement absent… tellement effacé. C'est lui qui narre ce drame du début du XXe siècle.
Sur la page de garde, un sous-titre à double sens : Blues de Prusse. Si la couleur utilisée par Simon Spruyt pour Junker tend davantage vers le vert de gris, il n'en demeure pas moins qu'elle contribue pleinement à conférer une ambiance désenchantée à ce livre, proche de celle qui hante certains ouvrages de Stephan Zweig (La pitié dangereuse, par exemple, se déroulant à la même époque, dans un environnement assez proche, où les faux-semblants et les illusions mènent, eux-aussi, à la tragédie). Les Von Schlitt servent dans la cavalerie…, alors que la mitrailleuse - aucun sens de l’honneur - a déjà fait ses preuves sur le terrain. Mais que pèse la réalité face aux mythes et aux symboles ? Un rapport de force que met en exergue le dessin avec acuité, tout comme le texte, remarquablement écrit et remarquablement traduit par Daniel Cunin pour les lecteurs francophones. Une autre époque habite ce livre.
Simon Spruyt est un auteur étonnant. Après SGF, album déconnant auquel pouvait toutefois être reproché un côté « déjà vu », il propose là une histoire profonde, d’un tout autre calibre, d’une tout autre densité. Junker est une bande dessinée rare, par la personnalité singulière et désuète qui s’en dégage. Derrière la sobriété apparente, sont dissimulés des ressorts psychologiques prenants pour celui qui aime à se plonger dans les tourments de l’âme humaine. Les parts d’ombre des différents protagonistes sont délivrées au compte-gouttes, au fur et à mesure des chapitres, ce qui permet de suivre la manière dont chacun appréhende la perte progressive de ses repères.
Ludwig est seul, terriblement seul. Encore presqu’un enfant, il perçoit à peine ceux qui l’entourent, leurs visages anonymes, comme animés par une imbécilité heureuse et satisfaite. Pourtant, c’est lui qui ne laisse rien transparaître. Il s’est réfugié dans une bulle protectrice et observe, analyse. Un monde d’une perfection qui dépasse l’entendement... Un minuscule défaut dans ta structure qui rend le tout plus attachant encore.
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