Ryoshi

D ans un Japon atemporel, le pécheur Ryoshi attire la jalousie de ses voisins. En effet, cet obèse pataud doté d'invraisemblables sourcils de poisson-chat est merveilleusement à l'aise dans l'élément aquatique et ramène chaque jour une prise miraculeuse. Or, ce talent cache une frustration : Ryoshi aurait tant voulu être acteur et se cacher derrière les visages de Nô qu'il collectionne. Ce fantasme qu'il cultive semble pouvoir se réaliser avec la proposition déplacée d'une belle geisha: celle d'abandonner sa famille pour les planches de la capitale. En plongeant au cœur des abysses, le gros homme remonte un nouveau masque de théâtre, un étrange faciès qui sonne comme une réponse du destin...

Par ses lavis noir et blanc à l'encre de chine rappelant la peinture traditionnelle, Gabriel Schemoul restitue toute l'atmosphère d'un conte d'Edo : le village côtier avec ses cabanes crasses et brinquebalantes, les rêves brisés d'une population soumise à la rigidité d'une société de caste, la mesquinerie engendrée par la pauvreté et la promiscuité, le vertige des profondeurs sous-marines et la violence toute nipponne des tempêtes. Il suffit d'ouvrir les yeux pour sentir l'odeur des embruns et de la criée qui marine au soleil. Sombre et mystique, la tragédie se clôture en n'offrant pas toutes ses clés et laisse un goût de revenez-y. Parfaitement maîtrisé, Ryoshi a le rythme de la fable shinto, souvent absurde pour une perception occidentale.

Profitez-en, dans le cadre de l'opération SBAM été 2014, cet album est à saisir pour seulement deux euros parmi un lot de cinq.