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ar une nuit de 1778, Giacomo Casanova sauve Joseph Balsamo d’une mort certaine. En 1939, alors que la Lagune s’accommode du fascisme, une ombre pénètre dans les combles d’un palais. Soudain, surgissant d’un miroir, un poing le frappe... Entre mer et ciel, Venise est décidément pleine de mystères.
Il est difficile d’écrire un scénario ayant pour toile de fond la Sérénissime sans tomber dans les lieux communs. Avec Lunes vénitiennes, Lele Vianello évite de sombrer sur les hauts fonds du convenu et s’offre le luxe, en vénitien qu’il est, de faire (re)sentir à qui y sera sensible, l’esprit qui plane sur le vaisseau de pierre…
D’abord, il y a le trait, noir, simple, qui assume l’héritage d’Hugo Pratt avec, dans les sourires et quelques regards, une pointe de ressemblance avec les personnages de Didier Comès. Ensuite, il y a la simplicité du gaufrier, dont la division métronomique - à six cases - rythme le temps en parts égales. Enfin, et surtout, il y a ces larges aplats de noir qui, le soir venu, transforment les silhouettes fantasmagoriques en ombres évanescentes. De ces planches au dépouillement graphique presque abstrait se dégage une ambiance chargée de sous-entendus et de non-dits que viennent éclairer des dialogues, rares ou diserts selon le besoin, mais toujours justes. Avec le minimum, tout est dit.
Ensuite arrive l’exercice périlleux des clichés qui collent à la cité ducale comme la misère au monde. À tout seigneur, tout honneur : Casanova. De fait, il occupe une large part de l’album, mais sans ostentation. Ses amours illégitimes avec une mère supérieure sont naturellement assumées et prennent des allures de paisible romance, loin des scandales prêtés à ce séducteur patenté. Subtilement, Lele Vianello associe le Chevalier à un autre mythe, le comte de Cagliostro, et glisse vers un second registre. Venise est souvent associée aux rites ésotériques et initiatiques qui, malgré la prégnance du Conseil des Dix, surent trouver en ces terres d’eaux une clémence propice à leur développement. Aussi, la rencontre de ces personnalités du XVIIIe prend une tournure résolument magique. Cette magie se retrouve deux siècles plus tard, dans le tiers médian de l’album où un monte-en-l’air vient en aide à trois fantômes surgis d’une psyché dans laquelle Cagliostro les aurait enfermés cent cinquante et un ans plus tôt ! Passé et présent, réalité et fiction, tout se mélange sur les toits de la ville et revêt une dimension occulte, jusqu’à ce parchemin qui libèrera les prisonnières de leur sort et les rendra aux limbes du passé. L’improbable peut avoir cours sur les bords du Grand Canal, surtout la nuit !
En guise de conclusion, soulignons la partition même du récit qui se joue des temporalités et raconte deux histoires au sein d’un même album. Et si la trame s’avère légère, la manière dont elle est racontée impose de négliger ce léger défaut. Lunes vénitiennes possède le doux parfum des beaux contes, de ceux qui entraînent leur auditoire au delà du réel, dans une parenthèse où la matérialité des faits et les chimères de l’imagination se rejoignent, se mêlent puis se séparent… sans que chacun ne sache vraiment pourquoi, ni comment.
Du même auteur, Dick Turpin ne m'avait guère convaincu. Là, c'est un peu mieux. Cependant, la construction du récit fait beaucoup trop à l'ancienne et manque singulièrement de modernité. On pense au vieille bd de l'époque d'Hugo Pratt, c'est dire ! Ce contraste avec la bd actuelle fait un peu tâche d'huile sauf pour les nostalgiques qui s'y retrouveront.
Le noir et blanc fait merveille surtout à Venise qui constitue un magnifique décors entre ses canaux, ses gens masqués et ses ponts. On croise Casanova mais également le fameux Comte de Cagliostro. C'est également un récit qui se joue sur deux époques bien différentes avec une trame un peu fantastique.