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oudy, Alex et Samir sont des vauriens, des petites frappes, des ordures qui n’ont pas demandé à pourrir dans un recoin de cette société qui ne fait aucun effort pour les intégrer. Les deux premiers travaillent dans un centre de tri de déchets ménagers, tandis que le troisième survit en vendant des cigarettes de contrebande et d’autres substances illicites sous le métro aérien des quartiers parisiens malfamés. Face au regard désapprobateur de ses « frères » du foyer africain, Moudy décide d’aller vivre son homosexualité bien loin de cet endroit où ils vivent entassés à dix par piaule. À la recherche d’argent pour financer les faux-papiers qui lui permettront de s’extirper de la clandestinité, Samir croise la route du jeune black et de son compagnon d’infortune…
Deux ans après La Fête des morts, Stéphane Piatzszeck (Tsunami) et Olivier Cinna (Mr. Deeds) s’associent de nouveau pour un polar social en deux tomes. Tournant le dos au décor exotique de leur précédente collaboration, ils plongent le lecteur dans une banlieue où les combines en tous genres, la criminalité et les flics ripoux sont légion. Dans cette décharge à ciel ouvert, Stéphane Piatzszek dresse le portrait de laissés-pour-compte dont le destin chavire en fin de premier volet. Gardant le gros de l’intrigue pour la conclusion de ce diptyque, il prend donc tout son temps pour mettre son histoire en place et installer une ambiance lente, pesante et pessimiste.
Les nombreuses planches muettes offrent à ce titre des moments de respiration qui démontrent que dans certains quartiers le temps n'évolue pas à la même vitesse qu'ailleurs, qu'il pèse sur le quotidien, comme s'il ne servait à rien de se presser quand le futur ne réserve rien de bon. Et quand il s'accélère, ce n'est jamais bon signe: des gitans armés aux basques, une manif de sans-papiers qui tourne mal... courir, s'enfuir, respirer, puis ralentir et revenir au traintrain journalier, qu'une vanne tente d'alléger, juste un instant... avant de replonger encore un peu plus bas. Olivier Cinna ne s’amuse pas seulement avec le rythme de cette (més)aventure humaine, mais imprègne également une atmosphère peu reluisante tout au long du récit. Un regard noir envers une attitude trop arc-en-ciel, des silences qui en disent parfois très long et un graphisme qui délaisse volontairement les couleurs, de peur d’embellir cet environnement riche en détritus, qu’il enveloppe volontiers d’aplats sombres, telle une ombre qui empêche ses habitants de briller.
À l'inverse des nombreux albums inutiles qui étouffent lentement le neuvième art, celui-ci a clairement sa place ailleurs que dans une poubelle. Malgré un titre qui ne laisse pas présager d’un avenir radieux, cette saga a en effet le mérite de s'intéresser à des jeunes qui ne croiseront probablement jamais notre regard dans la vraie vie, alors qu'ici, c’est l'envie de découvrir la suite de leur destinée qui domine en fin de lecture.
On peut se demander à la lecture de ce récit quelles sont les véritables ordures. On descend dans les bas-fonds d'une mégalopole française pour se rendre compte que la pauvreté peut conduire à la violence. Les gangs se partagent désormais les ordures: quel beau magot !
Les histoires de vauriens qui pourrissent doivent effectivement trouver un public preneur. Le dessin en noir et blanc ne va pas non plus faciliter la tâche. C'est vrai que je ne suis guère attiré par le sordide dans une voie sans issue. Entrée nord et sortie sud...
Cette oeuvre n'est certainement pas destiné à être jeté à la poubelle. Objectivement, on pourra trouver quelques qualités intrinsèques dans la description de la société des exclus et laissés-pour-compte. La racaille doit-elle être nettoyé au karcher ? Le débat est lancé. L'auteur donne une autre réponse plus sociale...