L'encyclopédie du Mal 1. La maison de sang

L es démons étaient invincibles, insensibles à la lame et à la poudre, et tout espoir semblait perdu. Puis vint un homme, non pas un grand guerrier mais un grand artiste, qui, en dessinant ces démons, en leur donnant une existence ici-bas, les rendit vulnérables. C'est ainsi qu'il rédigea l'Encyclopédie du Mal et donna la victoire aux siens. Aujourd'hui, les démons sont de retour mais le sauveur n'est plus là. Son fils saura-t-il reprendre le flambeau?

A la lecture de ce scénario, un seul mot me vient à l'esprit: ENFIN ! Enfin une série d'Heroic Fantasy qui veut s'extirper de la banalité et du formatage qui, à quelques exceptions près, enlisent le genre dans une médiocrité ambiante depuis quelques années. Aurons-nous droit cette fois à plus qu'une fade et indigeste resucée des Lanfeust et consorts?

Il semble bien que oui ! Grégory Maklès base son histoire sur deux personnages fort intéressants : Johannes Deeland, un jeune garçon entraîné par la force des choses sur les traces de son père, et Vlad Wilcz, judicateur impérial chargé d'escorter son protégé jusqu'au château d'Himmelsbaum. Ce chevalier s'avère être bien plus qu'un simple chaperon: c'est un être sensible, dévoué, vouant respect et admiration au père de Johannes et traitant donc ce dernier avec déférence.

Les scènes d'action sont assez rares et surtout concentrées en fin d'album, la tension allant crescendo au fil des pages. Les moments de calme et d'intimité entre les deux personnages sont importants dans la construction du récit. En effet, alors qu'il le craignait au départ, Johannes a tôt fait de se lier d'amitié avec Vlad.

Les auteurs ne rechignent pas à nous présenter un univers fort sombre, violent, et à insérer dans leur récit de longs silences oppressants. Le dessin de Joseph Lacroix va donc dans le même sens, dans la même volonté de s'écarter des chemins balisés de l'Heroic Fantasy en bande dessinée. Alors que la couverture, très belle soit dit en passant, laissait présager d'un graphisme très réaliste, nous découvrons avec plaisir des planches au trait plus jeté, d'apparence moins finie. Il faut reconnaître au dessinateur un réel talent pour la mise en images de personnages aux traits torturés dans des décors tantôt esquissés tantôt détaillés. Ainsi la représentation des démons fonctionne-t-elle à contre-courant : Lacroix s'écarte de tout réalisme pour donner à ces êtres invincibles une apparence floue, intangible.

Passée la bonne surprise que constitue cet album, il faut s'attarder sur quelques éléments qui viennent ternir notre enthousiasme. Tout d'abord, nous avons droit ici à ce qu'il convient d'appeler un tome d'introduction. Les auteurs ne vont pas assez loin dans la présentation de leur univers et tout se jouera par la suite. De quoi sortir de l'album avec une impression de "trop peu" fort désagréable. En outre, si les séquences plus contemplatives sont fort bien rendues, les auteurs s'avèrent moins habiles dans la mise en scène des combats et autres poursuites qui, par moments, manquent singulièrement de fluidité. Pour finir, signalons que, malgré une maquette soignée, l'album aurait pu bénéficier d'une meilleure présentation. Pourquoi avoir choisi une police si rigide et conventionnelle pour les textes narratifs alors qu'une écriture plus manuscrite aurait conféré au récit une impression d'authenticité non négligeable? De même, pourquoi ne pas avoir remplacé l'ignoble fond rouge des 2e et 3e de couverture par un crayonné ou, pourquoi pas, un vieux parchemin qui aurait d'autant mieux justifié le titre de la série?

Quoi qu'il en soit, ce premier tome est suffisamment original et distrayant pour me convaincre de jeter un œil intéressé sur la suite.