11 novembre 1918, la population de Tunis célèbre l'armistice. Le petit Victor est venu voir le défilé des drapeaux quand, soudain, des agitateurs enturbannés jettent à la vindicte de la foule les planqués, les profiteurs qui se sont engraissés alors que les autres se battaient en Europe : les juifs. Un pogrom se déclenche dans le quartier israélite et l'enfant, terrorisé, doit se cacher sous le lit parental.
1944, Auschwitz, corvée de chiottes nocturne. Young apprend à un nouveau détenu les règles de la chambrée et quelques notions de survie.
D'abord considéré comme une anecdote mineure, le destin des combattants des camps d'extermination inspire désormais les scénaristes. Après le Boxeur, paru en janvier 2013 chez Casterman, dévoilant le destin d'un autre forçat du ring : Hertzko Haft, c'est au tour de Young Perez, de son vrai nom Victor Younki, d'avoir sa biographie en bande dessinée. Futuropolis l'avait déjà mis à l'honneur une première fois avec A l'ombre de la gloire paru en août 2012. Un film sur le même thème sortira le 20 novembre. Né séfarade à Tunis en 1911, il est sacré champion du monde en 1931 avant d'entamer une lente descente dans un Paris gangrené par l'antisémitisme, chute qui le mènera à Auschwitz, lieu de ses ultimes combats. Young fait le va-et-vient entre 1944 et le passé, rapprochant les anecdotes du camp avec celles des souvenirs d'avant guerre. Ainsi, lorsque le jeune Victor se fait casser la figure par des gamins maghrébins, l'adulte entend les railleries envers les prisonniers les plus faibles, les morts-vivants, aussi appelés les « musulmans ». Et lorsqu'un SS lui annonce qu'il devra se débrouiller pour trouver des chaussures s'il ne veut pas se produire pieds nus pour son combat-test, il se revoit, vendeur chez un chausseur, à donner ses trucs de boxeur à un bourgeois aux extrémités sensibles...
Avec un crayonné très expressif, les auteurs dévoilent, d'une part, une Tunisie sous pression, où les deux communautés indigènes se détestent, et d'autre part, un univers concentrationnaire paranoïaque où l'absurdité le dispute à la cruauté. Les faces d'un même miroir, où la haine précède le crime. Le commandant fait visiter au héros des zones idylliques : petits jardins fleuris, orchestre, atelier fresque, club de football et, bien sûr, ring où s'affrontent des déportés triés sur le volet pour le plus grand plaisir de leurs bourreaux ; alors qu'à quelques mètres, les fours tournent à plein régime. Comparé à celui de Hertzo, le séjour de Young à Auschwitz semble plus édulcoré, ce qui lui donne un caractère plus humain que son comparse, véritable dogue des SS, prêt à tout (et légitimement) pour survivre.
Magnifique récit d'une vie d'exception, Young dresse le portrait sensible d'un sportif admirable, généreux avec autrui jusqu'au sacrifice dans les pires moments. Un bel hommage à un homme qui apporte une bouffée de solidarité dans un cauchemar qui pousse à écraser son prochain pour gagner son sursis.
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