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arce qu'il a tué un homme au cœur d'une forêt enneigée, Paco, jeune instituteur a senti le souffle du couperet passer sur sa nuque. Le tribunal l'a épargné grâce à sa gueule d'ange, pense-t-il, mais il comprend bientôt le sens de « perpétuité en Guyane ». Cinq ans d'espérance de vie, une moyenne qui se décompte dès que le condamné pose le pied sur ce fichu bateau; parfois beaucoup moins. À bord, l'ancien notable obtient la protection de la Bouzille, tatoueur des Bat'd'Af' que son statut de « Joyeux » place avec les « Premiers Paris » au sommet de la hiérarchie carcérale. Il apprend les règles liminaires de survie. Primo, résister au « coup de sonnette », la dérouillée d'accueil qui fait un premier tri entre les hommes et les faibles, ceux qui seront affectés aux rangs humiliants de « bonniche » ou, pire, de « môme ».Deuxio, se faire un blaze qui impose le respect. Un surnom, c'est comme un tatouage, ça colle à la peau. Dès la nuit d'arrivée, ce sera « Pâquerette ». Cinq ans, finalement, c'était une éternité, se dit-il, humilié jusqu'au plus profond de sa chair. Deuxième jour, il renverse le sort : il sera « Paco les Mains-Rouges », pour toujours...
Écrit du point de vue subjectif, sous forme de lettres à une fiancée qui ne sera jamais épousée, ce roman graphique tout en dégradés de terre déroule un guide complet de la (sur)vie dans l'enfer de Cayenne avec ses castes, ses codes et ses magouilles. Un univers injuste et cruel dirigé par les détenus sous l’œil distant d'une Pénitentiaire aussi impassible qu'une divinité impitoyable, une toute-puissance lointaine qui regarde ses créatures encagées se déchirer avant de faire tomber sa foudre selon un hasard calculé. C'est aussi l'histoire d'un homme qui puise au fond de son être un courage et une ingéniosité qui vont lui permettre de s'extirper du lot des « fagots »... C'est un amoureux qui va se découvrir des émotions inimaginables dans son ancienne existence.
Premier volume d'un diptyque alléchant, Paco les Mains Rouges est un véritable reportage au cœur d'un huis clos à la fois mythique et méconnu. Quatre-vingt-dix ans après celui d'Albert Londres, une plongée dans la géhenne des bagnards.
Les récits dans les prisons guyanaises sont plutôt à la mode en ce moment en témoigne le récent "Aux îles, point de salut' que j'ai posté dernièrement. Ce récit de Vehlmann va plus loin en terme de maturité introspective. On dirait effectivement une histoire vraie tant cela sent le vécu. Bref, on reconnaît le talent de l'auteur de nous faire croire. Et pourtant, le sujet est plutôt difficile dans cet univers carcéral au bout du monde. Cayenne a toujours une image de bagne qui colle à la peau. On se souvient de l'excellent film Papillon avec Steve McQueen.
L'auteur se concentre sur l'enfer du bagne entre violence et intimité. On ne reviendra pas sur le crime commis par ce jeune instituteur. Ce qui importe, c'est le moyen de survivre dans cet univers carcéral très difficile pour tout le monde y compris les gardiens. Visiblement, le message véhiculé est que la violence serait le seul moyen de survivre ce qui est moralement choquant. Les adeptes du tout répressif et qui dénoncent un certain laxisme devraient sans doute réfléchir. Mais bon, cela ne les arrêtera pas.
Je n'ai pas trop aimé la fin où Paco tombe amoureux d'un autre détenu. Cette romance ne colle pas avec ce qu'il a vécu dans ces lieux ténébreux. On tombe dans un excès qu'il est difficile de comprendre compte tenu des circonstances entre viol et lynchage. C'est traité tout en pudeur avec un trait et des couleurs qui se marient à merveille pour représenter ce climat oppressant. On verra ce que nous donne la suite et fin.
Pur chef-d'oeuvre. Où la violence la plus sordide devient levier de l'humanité. Une plongée dans les entrailles de l'instinct et de l'amour. Un dessin et une histoire comme un koan zen. Indispensable.
Un thème aussi ambitieux que casse-gueule, servi par un dessin qui sent bon la sueur et le bagne. Une vraie claque.
Attention CHEF D'ŒUVRE. Vraiment une BD à couper le souffle. On visite le bagne et son univers impitoyable. Le personnage central est complexe et plein d'humanité à la fois. C'est en lisant ce genre de BD qu'on se dit que la BD est vraiment le 9ème art.