L
ors d’une exposition rétrospective qui lui est consacrée au Botanique, à Bruxelles, Benoît Renson, photoreporter, retrouve Mady, une amie d’enfance. Ensemble, ils se remémorent leur jeunesse bouillonnaise et ces moments complices qui les unissaient quarante ans plus tôt. À l’époque, la cour de récré et les rues de leur petite ville résonnaient des cris joyeux de leurs camarades qui mimaient la geste du héros local qui avait conquis Jérusalem à la fin du XIe siècle. Des jeux qui, joints à la bien-pensance et aux préjugés, coûtèrent cher à Benoît, aux origines paternelles trop colorées et musulmanes pour les gens du coin…
Après sa fresque sur l’abbaye d’Orval, Jean-Claude Servais (L’assassin qui parle aux oiseaux, Le dernier brame, Les seins de café, Tendre Violette), auteur régional par excellence, s’intéresse à Godefroid de Bouillon (1058-1100), chef de la première Croisade. Il le fait par le truchement d’un homme et d’une femme dont la jeunesse, dans les années 60, a été marquée par cette figure emblématique, dont les exploits étaient alors largement véhiculés par l’école et l’Église catholique belges.
Débutant à Bruxelles en 2005, le récit navigue entre trois siècles, chaque souvenir évoqué par Benoît et Mady étant l’occasion de faire revivre le passé. À travers ces destins croisés, le scénariste déroule une romance touchante, aux accents néanmoins un rien mièvres, tout en mettant en scène une certaine façon de présenter l’Histoire ainsi que le poids et les conséquences du qu'en dira-t-on. Cette dernière démarche ne manque pas de mérite et donne lieu à quelques intéressantes réflexions malheureusement noyées par le reste. De même, sans qu’il y ait grand-chose à y redire sur le fond, la retranscription de l’existence du célèbre croisé se révèle lisse, si bien que l’enthousiasme des écoliers bouillonnais des sixties à l’endroit des hauts-faits de Godefroid laisse quelque peu de marbre. Cette impression est renforcée par le côté finalement assez linéaire de l’intrigue, malgré les nombreux allers-retours temporels, ainsi que par l’absence de charisme des personnages.
Relevant un propos à moitié convaincant, le dessin de Servais, rehaussé par la colorisation de Raives, offre de magnifiques vues, tant du pays de Bouillon que de capitale belge. Si son trait expressif sait rendre avec justesse et ce qu’il faut de retenue les sentiments des différents protagonistes, il livre surtout de très beaux paysages boisés, médiévaux et urbains. Quelques cadrages époustouflants donnent l’illusion de dominer la Semois, alors que d’autres plongent dans l’atmosphère animée d’une galerie bruxelloise. Pour cela au moins, il vaut la peine d’ouvrir l’album.
Quoique de bonne facture et agréable à lire, la première partie (sur deux) de Godefroid de Bouillon ne parvient guère à passionner, faute d’entrer de plain-pied dans la polémique sous-jacente qu’elle se contente d’effleurer.
J'attends toujours avec impatience un album de Servais. Cette fois, il nous emmène sur les traces de Godefroid de Bouillon avec la complicité de Claude Rappé, spécialiste belge du sujet. Un cahier resituant le contexte, le personnage et la vérité historique se trouve en fin de volume. Servais dans son histoire se tient exclusivement à ce que les manuels scolaires nous ont appris, il est donc intéressant de lire ce cahier pour se faire son propre jugement.
Certes, je n'ai pas appris grand chose de neuf sur 'le héros des Belges' mais la double histoire proposée suscite un certain intérêt qui sera comblé dans le tome 2, je présume.
Les dessins sont comme toujours extraordinaires, les couleurs de l'automne et des magnifiques paysages des Ardennes belges parfaitement rendues : du grand art !