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n homme qui, du jour au lendemain, se transforme en une bête aussi immonde que ridicule, voilà le postulat de départ de La métamorphose, une nouvelle publiée initialement par Franz Kafka en 1948. Adapter ne fut-ce qu'un extrait d'une œuvre si riche, qui a tant marqué l'Histoire de la littérature mondiale, était un vrai défi que Peter Kuper relève avec talent. Avec cet album exceptionnel, il parvient à imposer sa propre personnalité sans dénaturer l'œuvre du Maître. Un exploit en soi.
Mais revenons sur l'histoire elle-même, ou plutôt sur l'univers kafkaïen qui s'offre à nous. C'est un monde noir, triste, où l'homme ne trouve d'occupation que dans le travail et la soumission, où l'homme n'a de place que dans une hiérarchie aussi précise qu'immuable, où l'homme s'ennuie par manque de fantaisie. La vie de Gregor va pourtant être bouleversée par cette métamorphose aussi grotesque que révélatrice de l'image qu'a de lui le monde alentours. Et alors que ce changement devrait lui faire se poser des questions sur lui-même et sur ce qu'est sa vie, il se raccroche à son quotidien, se demande comment il va bien pouvoir aller travailler et subvenir aux besoins d'une famille qui vit à ses dépends. La routine est plus forte que tout quand elle nous empêche de regarder au plus profond de nous-même.
La réaction de son entourage est un mélange de tristesse, de pitié, de haine et de dégoût. De honte, aussi. Même si toute fierté n'est pas abandonnée. Finalement, la métamorphose n'affecte pas que Gregor car elle touche aussi toute sa famille qui, devant l'improbable, ne sait trop que faire pour simplement continuer à vivre.
Pour mettre en images ce monde froid où tout semble inéluctable, à tel point qu'il en devient parfois risible, il fallait un dessin hors-normes, comme pour compenser la rigidité de l'univers kafkaïen par une grande liberté de ton. Le trait de Peter Kuper sonne juste. A la fois réaliste et caricatural, sombre et grotesque, il se conjugue avec un découpage complètement fou pour restituer toute la force de l'œuvre originale.
Ce livre superbement réalisé offre aux amateurs de l'œuvre de Kafka une très belle adaptation et aux autres une occasion de découvrir par la bande dessinée un auteur qui portait un regard d'un pessimisme rare mais d'une lucidité effrayante sur les travers du monde qui l'entourait. Des travers qui, bien des années plus tard, n'ont fait que s'aggraver. Il s'agit dans tous les cas d'un album à découvrir sans tarder.
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