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line a pris des médicaments ; trop. Elle se réveille pieds et poings liés sur un lit de l’hôpital Sainte Anne, institution parisienne consacrée à la question psychiatrique. Quinze ans après y avoir elle-même été hospitalisée, Sibylline revient sur son séjour en ces murs à travers le prisme de ce personnage qui n’a de fictif que le prénom. Elle explique comment elle y a, ainsi que semble le suggérer la couverture, reconstruit le puzzle de sa vie ; inconsciemment à l’époque.
Les couleurs utilisées par la dessinatrice, Natacha Sicaud, notamment les tons pastel, ne manquent pas d’évoquer l’atmosphère aseptisée et javellisée si symptomatique de ces lieux. Le rendu peut paraître brouillon, il n’en est rien. Le trait est juste, sans exagération, rendant avec intelligence tel ou tel détail, tel ou tel geste, qui dans la rue ne manque pas d’interloquer le passant qui y est confronté. Usant de plans rapprochés, elle met en avant le langage des corps, et plus spécifiquement encore celui des visages, qui, s’ils peuvent parler à l’initié, le sachant, sont profondément déstabilisants pour le tout venant. L’exercice n’était pas aisé, il est mené avec subtilité.
Cette subtilité, elle se retrouve dans le récit que Sibylline a choisi de livrer ici. Les années aidant, elle a eu le temps de digérer cette période, de mettre de l’ordre dedans. Pour autant, elle brouille savamment les cartes entre son histoire - celle incarnée par Aline -, et l’environnement qui fut le sien là-bas - les autres patients, les médecins et ce lieu aussi méconnu que connu. Cet habile chassé-croisé va permettre à ces deux éléments de se développer pleinement, l’un par rapport à l’autre : Aline portant son regard - égaré à l’époque, empli de recul aujourd’hui - sur l’hôpital, pendant que ce dernier, dans tout ce qu’il comprend, se penche sur elle. Certaines séquences sont d’une grande force, en particulier quand Aline jette un œil lucide sur ce qui l’a amenée entre ces murs et quand elle laisse éclater la colère qui est la sienne, en son for intérieur. Est-ce l’adolescente de dix-sept ans qui s’exprime lors de ces sorties salvatrices, ou est-ce l’adulte qui écrit ces lignes ? En fait, peu importe, la grande réussite de cet album réside sans aucun doute dans ce juste dosage entre ces deux vues.
Dans Sous l’entonnoir, la scénariste raconte son passage en hôpital psychiatrique, et elle le fait avec beaucoup de talent, évitant les pièges propres à ce type de sujet, en se concentrant sur le ressenti qui fut le sien pendant la période concernée et en utilisant à bon escient la distance qui est la sienne aujourd’hui.
Je trouve que c'est toujours une situation triste que de vouloir attenter à sa vie et de terminer par la suite dans un hôpital psychiatrique. C'est la douloureuse expérience qui est arrivée à notre auteure Sibylline qui en fait une œuvre auto-biographique avec un recul d'une quinzaine d'années après les faits.
Je classe cette BD dans les œuvres qui expient les blessures des auteurs. Certains diront que cela fait plus de bien à l'auteur qu'au lecteur tout en évitant des séances de psy mais on peut le voir également comme un témoignage bouleversant d'une certaine réalité si on possède un peu de compassion.
Perdre sa maman à 7 ans à cause d'un suicide est également un drame sans nom. Comment une telle fillette peut se relever sans subir aucune conséquence psychologique ? C'est difficile de s'affranchir d'une histoire pareille. C'est un dur combat qui s'amorce.
L'auteure va se concentrer sur le passage à l'hôpital psychiatrique où la population est assez variée. On se pose la question si cela permet vraiment d'aider les suicidaires d'être mélangés avec d'autres pathologies plus lourdes psychiquement parlant. Ce n'est sans doute pas la réponse appropriée. Elle n'aura de cesse que de vouloir sortir de cet enfer.
Bref, une BD très réaliste sur un sujet très lourd et angoissant qu'on n'a pas forcément envie de posséder et de lire. Cela reste un témoignage plutôt émouvant.