America (Sturm) America

T rois histoires, tirées du folklore américain. Trois époques, scandant la naissance d’une nation. Trois lieux, marquant l’irrépressible croissance d’un pays.

Cane Ridge, Kentucky, 1801 : un couple de pionniers se dirige vers le «revival», vaste rassemblement religieux qui a initié le mouvement évangéliste aux États-Unis. Solomon’s Gulch, Idaho, 1886 : manœuvres et affrontements autour d’une mine d’or pour s’approprier les dernières richesses d’un filon qui s’épuise. Forest Grove, Michigan, 1922 : une équipe de base-ball itinérante, composée de Juifs, cours le cacheton. Un manager leur propose de créer un Golem pour attirer plus de public.

Trois histoires, trois époques, trois lieux. Un portrait de l’Amérique en gestation. Portrait peu flatteur en vérité. C’est une Amérique cupide, violente, superstitieuse, en proie aux préjugés, qui est montrée ici. Publié isolément en 2002 au Seuil, Le swing du Golem se voit donc adjoindre deux récits, plus courts, dans cette nouvelle édition. La première nouvelle, The revival donc, tirée de faits réels, évoque le plus important camp meeting de ce début de XIXème siècle, dans ce middle-west qui était le far-west de l'époque, et qui vit affluer les pèlerins de toute la région venus assister aux prêches enflammés, aux démonstrations de foi spectaculaires, aux miracles religieux, les foules se pâmant devant les prédicateurs exaltés. Finalement le drame se nouera, entre ferveur et désillusion.

Plus étoffé, une quarantaine de pages, plus complexe dans sa construction, le deuxième récit s’inspire de plusieurs évènements, donnant une vision amère de la légende de l’Ouest et sa ruée vers l’or. S’ouvrant par un massacre, puis relatant le quotidien aigre et morne de personnages guidés par leurs instincts, la plupart stupides et veules, cette farce cruelle n’est illuminée que par la présence d’une jeune chambrière, que la vie n’a pas encore usée.

Enfin, ce Swing du Golem, plat de résistance de la trilogie, propose une vision pleine d’émotion d’une légende qui en dit long sur l’Amérique contemporaine. Composée de deux gros chapitres et d’une courte conclusion, cette œuvre brasse des sujets chers à l’auteur, la ségrégation, la judéité, et le base-ball. Celui-ci est au cœur du récit, mais nul besoin d’être un fervent sportif ou un amateur éclairé pour comprendre et apprécier ce sport emblématique de la nation américaine. Le remarquable découpage des séquences de jeu rend celui-ci passionnant, même au profane, tout en explorant la psychologie des acteurs de ce drame au travers de gros plans choisis et de cadrages judicieux. L’histoire s’ouvre avec le premier match qui présente cette équipe étrange, composée exclusivement de Juifs à l’exception d’un transfuge des ligues noires, un colosse et lanceur redoutable. Le leader est un ancien joueur professionnel de Boston, accompagné de son jeune frère, et d’une poignée de vétérans, d’anciennes gloires, qui vivotent en parcourant le pays à la recherche de matchs d’exhibition. Car c’est vraiment d’exhibition dont il s’agit, le public venant essentiellement pour voir «les Juifs». La deuxième partie à pour cadre une ville industrielle sous la coupe d’un magnat local qui fera tout pour voir son équipe gagner, au grand plaisir d’une population ouvertement raciste. Mais c’est dans la nature du Golem que les choses se gâtent …

Graphiquement, l’évolution de l’auteur est assez saisissante, passant d’un noir et blanc au trait un peu raide dans le premier récit, à un dessin violemment contrasté, évoquant la gravure sur bois, dans le deuxième. Quant à la dernière intrigue, le trait se rapproche d'une ligne beaucoup plus claire, où le noir et blanc se voit rehaussé de larges aplats d’un gris subtilement doré, rappelant les photos jaunies de cette époque.

Le propos de America est indéniablement actuel, et n’exhume le passé que pour mieux montrer d’où viennent les courants délétères qui parcourent les États-Unis : le fanatisme religieux, l’avidité, l’intolérance, autant de maux consubstantiels à la nature même du pays selon James Sturm, qui ne voit de -rares- raisons d’espérer que dans une jeunesse qui arrive parfois à se débarrasser des préjugés. Cette réédition salutaire est une bonne occasion de se pencher sur les premiers pas de ce grand auteur américain, à l’œuvre trop rare et atypique.