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ude, 22 ans, est étudiante en philo et vit une romance calme et sage avec Etienne. Désireuse de gagner un peu d’argent, elle répond à une annonce pour être baby sitter. Lorsqu’elle rencontre Corentin, le garçon de 9 ans qu’elle va garder trois jours par semaine, tout bascule. Hypersensible, déjà mûr pour son âge, artiste, l’enfant la transperce de son regard, la touche au plus profond. Malgré la société, malgré les convenances, malgré ses amis qui s’inquiètent de son éloignement progressif, Aude se laisse emporter par la tendresse qu’elle ressent pour Corentin. Jusqu’à franchir le pas de l’interdit.
Sans nul doute, le roman signé Bénédicte Heim est aussi puissant que dérangeant, aussi sensible que sensitif. Son adaptation en bande dessinée par Edmond Baudoin en souligne encore davantage la beauté, la profondeur et le trouble qui se dégage du récit. Texte et dessin se mêlent intimement, s’encastrent l’un dans l’autre, les mots envahissant parfois les pages, débordant de partout, ou au contraire se rétractent dans un coin de page pour laisser parler l’image. L’aspect visuel s’avère donc mouvant et suit le rythme du ressenti de l’héroïne. Le trait gras du dessinateur se joint à une narration qui joue elle aussi sur son rendu typographique pour mieux narrer l’histoire et transmettre les sentiments, grâce à son côté un peu « brouillon » ou « épreuves d’impression ». Mais, au-delà de ce qui « saute » aux yeux du lecteur, le propos de l’auteure titille et fouaille l’âme en l’obligeant à regarder aussi en face que possible la naissance et l’accomplissement d’un amour interdit. Pourtant, l’accent mis sur la pureté et la fragilité de cette romance oblige le lecteur à la comparer à la tiède relation qu’Aude entretient avec Etienne et à trouver la première belle, presque excusable, en tous cas plus satisfaisante sur bien des plans, plus riche aussi. Et, ce faisant, le malaise sourd, étreint et donne l’impression à celui qui lit d’être un voyeur perché sur le fil tendu de l’acceptable et du réprouvé, et d'être soumis à un choix cornélien qui voudrait que la morale triomphe sans qu'on puisse tout à fait s'y résoudre.
Intense, dérangeant, Tu ne mourras pas s’avère une perle narrative et graphique qui ne laissera pas indifférent. Bien au contraire.
Aude a vingt-deux ans, fait des études de philo, vit avec Etienne. Que dire d'autre ? Pas grand-chose, tant il est vrai que son existence, morne et sans relief, bien rangée, reste confinée au carcan imposé par une société bien-pensante. Un jour, pourtant, tout bascule : elle rencontre Corentin, un garçon de neuf ans qu’elle devra garder trois fois par semaine pour gagner un peu d’argent de poche. Dès le premier contact, l’enfant paraît étrange, à la fois renfermé sur lui-même et fascinant par sa faculté à en imposer aux autres, par son caractère déjà bien trempé. De fil en aiguille, Aude et Corentin vont se rapprocher l’un de l’autre, flirtant avec la morale, avec ce qui est juste, tout en sachant que les élans de la passion, malgré les subterfuges, finissent souvent par l’emporter.
Le roman de Bénédicte Heim, ici adapté par Edmond Baudoin, aborde ce qui demeure sans doute l’un des plus grands tabous de la société actuelle, soit l’amour et l’attirance physique entre un adulte et un enfant. Ce sujet, si délicat, est traité avec talent et a pour mérite de confronter le lecteur à ses propres certitudes. L’histoire d’Aude entraîne dans son sillage nombre de questions sur ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas, sur les limites qui peuvent ou ne peuvent pas être repoussées. Bien sûr, il n’est pas question dans ce livre d’enlèvement ou de séquestration, ni de la moindre violence, si ce n’est le tourment infligé aux personnages du fait même de cette relation hors normes qui s’installe progressivement et dont les prémices, déjà, sont à même de provoquer des haut-le-cœur.
Si la pilule passe, et si le questionnement porte ses fruits amers, c’est à l’origine grâce au texte de l’auteure, qui développe un style échevelé et un rythme un peu fou, au diapason des sentiments qui affluent dans l’esprit des protagonistes et battent en brèche leur existence préalable. Baudoin réalise lui aussi un travail remarquable. Intelligemment, il préserve le texte de départ tout en le réécrivant lui-même sur ses planches, dans un mélange de calligraphie et de caractères d’imprimerie, de ratures qui témoignent d’un empressement à l’écriture et soulignent avec force les emportements du narrateur devant un récit si poignant. Le dessin en lui-même est admirable, à la fois doux et puissant, esquissant une réalité qu’à plusieurs reprises, on serait tenté de recouvrir d’un voile pudique.
Dérangeant, mais d’une beauté par instants envoûtante, ce livre n’est pas d’une lecture aisée, tant il contraint le lecteur à se poser des questions qu’il préférerait ne pas soulever. Entre malaise face à une impensable réalité et empathie pour des personnages amoureux, emportés par une histoire plus forte qu’eux, il est difficile de se positionner, preuve s’il en est que les auteurs, par un savant dosage d’émotions, ont réussi leur coup.