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Le minuscule mousquetaire 2. La Philosophie dans la baignoire

21/10/2004 12263 visiteurs 6.9/10 (7 notes)

D ans « La philosophie dans le boudoir », Sade nous contait l’initiation d’une oie blanche confiée à des individus que la possession d’un titre nobiliaire ou une place dans la société ne suffisent pas nécessairement à rendre fréquentables.
Dans « La philosophie dans la baignoire », Joann Sfar nous invite à suivre les pérégrinations du Borgne Gauchet, l’un de ses personnages fétiches, dans un monde minuscule riche de différents univers parallèles. Il quittera momentanément l’école des Beaux arts, où il exerce comme modèle pour des apprenties artistes, pour plonger dans un monde aquatique, rencontrer des créatures de légende (un Sphinx qui doute et s'interroge, une Gorgone à la réputation usurpée), le mari d’une bibliothécaire à la libido capricieuse ou encore une chef de troupe cosaque. Sans qu’il soit réellement possible de démêler les expériences réelles et fantasmées.

Passée la surprise du recours à un clin d’œil digne de l'un des travers les plus éculés d’une presse qui confond jeu de mots trivial et esprit lorsqu’elle choisit ses titres de « une » (le passage de Sfar à Charlie hebdo a-t-il laissé des traces ?), inutile de chercher de véritables parallèles avec l’œuvre du Divin Marquis. Là où celui-ci se plaisait à dépeindre avec solennité les « raffinements » qui ont fait sa réputation, l’auteur du « Minuscule mousquetaire » adopte un ton plus badin. Ici point de sévices ou de jeux pervers dans des espaces clos. Sfar laisse sautiller son personnage dans les grands espaces (même les lits à baldaquins sont installés en plein air) tel un satyre qui bondit de maîtresses complices en égéries rétives, de champs de bataille terrifiant en couches accueillantes.

Du point de vue de la narration et de la mise en image, il s’autorise toutes les libertés. Celle d’organiser des joutes verbales de haute tenue philosophiques puis de s’en lasser et de nous présenter les personnages de la Grèce antique comme de joyeux queutards, deux facettes déjà explorées dans sa relecture illustrée du « Banquet » de Platon (Editions Bréal – 2002). Libre aussi de s’interroger à nouveau sur les difficultés rencontrées par l’homme à saisir l’essence de la Femme, tantôt inaccessible icône tantôt complice téméraire à deux doigts de le faire rougir (thème effleuré dans le tome 5 de « Grand Vampire » paru en juin dernier).
Libre de jouer avec les découpages lorsque l’envie lui prend par exemple d’offrir des enluminures à certaines planches quitte à réduire la taille des cases à celle de grandes vignettes. Ou de travailler certaines cases au point d’en faire des illustrations pour livres d’images et de les faire suivre d’un dessin quelconque. Ou encore de délaisser la plume et l’encre pour le pinceau et la gouache avant de les reprendre (que l’occasion soit donnée ici pour saluer le travail de Delphine Chedru sur cet album qui a su relever le défi induit par ces audaces avec brio).
Libre enfin de prêter ses traits ou ceux de C. Blain, en tout cas ceux des personnages qui les représentent dans ses « Carnets » (4 titres édités à l’Association), pour des personnages qui n’ont rien de l’archétype du héros classique.

Et c’est précisément cette liberté que certains lui reprocheront, arguant d’une absence de maîtrise du récit au profit d’une improvisation brouillonne « au fil de l’eau », d’un manque de rigueur ou d'homogénéité au niveau des traits, d’un hermétisme coupable pour ceux qui ne connaissent pas l’œuvre complète de l’auteur. Quant ils ne s’offusqueront pas cette fois d’un libertinage dans le ton et les situations qui franchit allégrement et éhontément, il est vrai, les limites du suggestif.

Les autres, eux, ne sont sans doute pas encore repus par un millésime 2004 copieux mais atypique : « seulement » trois Donjon, un Grand Vampire, un Petit Vampire (tous chez Delcourt), un Homme arbre (Denoel), la supervision du dessin animé Petit Vampire diffusé dès le 25 octobre sur France 3, la direction de la collection Bréal Jeunesse pour laquelle il a réalisé "La sorcière et la petite fille", Pantagruel (Bréal), une planche par ci (Portraits de Titeuf), d'autres par là dans la presse. Mais pas de nouvelle série. Non la Cour disais-je, attend son cadeau de Noël en novembre : "Caravan", un cinquième Carnet (800 pages annoncées !), support idéal pour évoquer tous les sujets dans l’ordre de son choix.

Par L. Cirade
Moyenne des chroniqueurs
6.9

Informations sur l'album

Le minuscule mousquetaire
2. La Philosophie dans la baignoire

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Note: 3.3/5 (53 votes)

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L'avis des visiteurs

    Hugui Le 20/01/2013 à 13:06:06

    Lu les trois premiers tomes du "minuscule" grâce à la bibliothèque.
    Ces trois opus ressemblent à l’œuvre de l'auteur, pléthorique, foutraque, partant dans tous les sens, inégale (calembour foireux et réflexions philosophiques), aussi vite lu qu'ils ont du être vite écrit, main on passe un agréable moment.
    En fait de monde minuscule, ce n'est qu'un prétexte pour explorer des mondes parallèles où l'auteur peut se laisser à loisir délirer et mettre son héros dans des situations improbables où la seule constance est la recherche de l'amour sous toutes ses formes (sauf l'homosexuelle malgré la tentation sur une île déserte).
    A lire si vous en avez l'occasion.

    pm Le 03/10/2004 à 16:59:32

    Trois ans après un premier tome, délai inhabituel pour cet auteur prolifique, parait « La philosophie dans la baignoire » dont la forme et le fond ont considérablement évolué. Du gaufrier à peu près systématique du premier album on passe à une mise en page beaucoup plus éclatée et du trois bandes par page à une quasi généralisation du quatre bandes qui donne une certaine densité au récit. L’encrage plutôt sobre et gras du premier fait également place à des traits beaucoup plus fins, à une surabondance de hachures et à des cases relativement chargées (toujours ce sentiment de densité). Ce qui frappe également dans ce tome c’est le manque apparent d’unité de style graphique tout au long de l’album. On passe allègrement de cases très finement détaillées à d’autres où le pinceau trace juste un vague décor, de hachures nerveuses et rapides à des drapés esquissés en quelques coups de pinceaux bien larges, d’un lettrage scripte à un autre en cursives dans la même planche voir dans la même case.
    Et cette « irrégularité » de forme se couple avec un récit qui semble également partir dans tous les sens, partant de pseudos récits mythologiques vers une faune sous marine et féminine, passant de l’antiquité grecque au 18ème siècle libertin, de la philosophie aux récits épiques, le tout emmené dans un joyeux bordel…dans lequel on ne se perd pourtant jamais.
    Ce récit fonctionne bien sûr comme une pure fantaisie où de nombreux thèmes sfariens sont abordés, en particulier ses rapports aux femmes et à la philosophie (pas de religion dans le minuscule mousquetaire). Mais l’imagination débridée de l’auteur est toujours tendue vers une direction précise et malgré toutes ses digressions Sfar nous conduit bien à bon port, vers un débordement de vie au sens littéral du terme, où ça déborde tellement qu’on ne peut le garder pour soi. La fantaisie vitale débridée est ainsi le propos même de ce livre et ce serait un malentendu de le prendre autrement. On sent ici le vrai respect du jouisseur de la vie ( le sexe, le vin, les histoires, l’humour, le plaisir) jamais la profonde déprime du libertin aquoiboniste .
    On notera également les nombreux hommages à l’amitié et à l’amour, à ses proches, généralement en forme de clin d’œil, avec des personnages qui prennent les traits de Christophe Blain, de Riad Sattouf, peut-être même de Marjane Satrapi et sans doute de sa compagne Sandrine Jardel, ainsi qu’une ironie sur lui-même en se croquant en mari cocufié qui cherche une solution à son problème. Et bien sûr un hommage appuyé à ses maîtres Pierre Dubois/Petrus Barbygère/Le Borgne Gauchet/Le minucule Mousquetaire et plus particulièrement dans cet album au grand Fred et à sa formidable inventivité (cf en bas à droite de la page 35).
    Bref un grand cru qui sous ses faux airs de bordel pornographique creuse le sillon de cet auteur qui continue à nous raconter et à nous livrer ce qu’il croit et ce qui l’intéresse.
    Un livre qui ne sacrifie pas à l’esbroufe et dont la ligne directrice pleinement assumée est un savoureux hymne à la vie.