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L'Île Panorama

29/04/2010 9454 visiteurs 7.0/10 (2 notes)

H irosuké Hitomi est un écrivain en mal de succès, dont le propre éditeur regimbe à publier les récits fantastiques décadents. Sa cause semble entendue, quand il apprend fortuitement le décès de Genzaburô Komoda, richissime héritier d’une grande famille, qui fut son condisciple et dont il est le parfait sosie. L’idée germe alors de prendre la place du défunt en le faisant revenir d’outre-tombe. Organisant son propre suicide et jeûnant pour maquiller l’usurpation d’identité, Hitomi est bientôt accueilli comme un miraculé par l’entourage de son ancien ami. Il doit cependant prendre garde à ne pas éveiller les soupçons, en particulier ceux de la veuve éplorée, Chiyoko. Pourtant, cela ne l’empêche nullement d’entreprendre son rêve de toujours : construire un formidable paradis terrestre sur une île isolée, où il compte bien goûter aux mille et un délices d’une existence de plaisirs sans frein. Quitte à être un jour rattrapé par son forfait...

Avec L’île Panorama, la collection Sakka des éditions Casterman propose de découvrir l’œuvre éponyme d’Edogawa Ranpô (1894-1965), fondateur du genre policier dans son pays, admirateur d’Edgar Allan Poe – son nom de plume en reprend la prononciation japonaise -, de Maurice Leblanc ou encore d’Arthur Conan Doyle. Signée Suehiro Maruo, maître de l’érotico-grotesque, l’adaptation suit à la lettre le roman d’origine, lequel déroule un récit fort, prenant, bien imaginé et mené avec brio, abstraction faite de cette ressemblance un peu trop bienvenue entre l'écrivain et feu Komoda.

Tout comme dans les contes noirs et cruels d’un Poe ou d’un Becquer, la montée en puissance de la narration donne le vertige, fait frémir, envoûte, tandis que des frissons d’horreur et de ravissement mêlés courent sur la peau, jusqu’à ce que survienne la chute, abrupte, quoiqu’attendue. De la misère à la grandeur, de la quasi mendicité à la décadence la plus échevelée, du plus glauque et nauséeux au plus splendide et luxuriant, l’album transporte de bout en bout, suivant la destinée insolite et fulgurante d’un homme raté, néanmoins splendide de culot et de folie. La démesure est au centre de l’ensemble et prend son envol dans la deuxième partie d’une histoire qui s’agrémente également d’une intrigue policière puisqu’inévitablement le coupable est démasqué par le héros récurrent d’Edogawa Ranpô, Akechi. La romance n’est pas non plus en reste, bien qu’on ne puisse parler d’idylle stricto sensu, mais bien d’une attirance profonde que la peur et le meurtre empêchent Hitomi d’assouvir, si ce n’est par un acte à l’aune de sa démence.

Enfin, le dessin réaliste et tout en élégance de Suehiro Maruo, emporte les suffrages par sa maîtrise, ses détails, son côté épuré et d’un grand raffinement. Il s’ingénie avec talent à montrer le pire – cadavre boursoufflé déjà rongé par les vers, cimetière aux allures spectrales – et le plus beau – somptuosité de jardins d’éden, courbes délicates et charnues de jeunes femmes alanguies -, tout en recréant l’atmosphère particulière d’une ville japonaise du début du vingtième siècle, alliant déjà tradition et modernité. Il fourmille aussi de références que le lecteur se complaît à retrouver, à deviner, ici la pause des belles peintes par Gustave Courbet, là l’Ophélie – en l’occurrence Chiyoko – noyée de Millais, ailleurs des statues antiques aux airs étrangement vivants – et pour cause !

Lecture goûteuse à bien des égards, savamment composée, joliment mise en images, L'île Panorama est de ces mangas qui ne laissent pas indifférent. À découvrir !

Par M. Natali
Moyenne des chroniqueurs
7.0

Informations sur l'album

L'Île Panorama

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L'avis des visiteurs

    pokespagne Le 24/11/2013 à 21:50:11

    Même les plus fermés à la littérature japonaise auront - tout du moins j'espère - entendu parlé de Edogawa Rampo (eh oui, il s'agit bien de la pronociation nippone de Edgar Allan Poe), mais on ne lit plus guère de nos jour cet auteur de romans policiers des années 30. Le travail graphique magistral fait par Maruo - mangaka expert en érotisme grotesque, semble-t-il - permettra donc à tous de redécouvrir Ranpo : la première partie du livre, policière donc, est absolument passionnante, à la fois subtile et stressante, mais c'est dans la seconde, qui se "limite" à une description de cette fameuse "Île Panorama" ultra kitsch et pourtant hallucinante, que le génie du dessinateur explose. Chaque page est une expérience fascinante, combinant la culture japonaise avec une esthétique "Art Nouveau" bien venue. On déplorera seulement la conclusion, certes pertinente, mais bien brutale, alors qu'on aurait aimé un véritable paroxysme narratif pour conclure cette oeuvre hors du commun.

    anand Le 24/03/2011 à 11:39:28

    Une oeuvre étrange, c'est le premier mot qui me vient à l'esprit pour qualifier ce one shot.

    Entendons nous bien lorsque je dis étrange, cela n'est en aucun cas une critique, bien au contraire, je veux seulement dire par là qu'à mon avis, soit on aime ou on déteste.

    Dans mon cas la première option est la bonne, une histoire originale, des dessins qui contribuent énormément à donner une sensation dérangeante, si ce n'est oppressante, le suspens ne fait que croître tout au long du récit, avec cette fin qui bien que prévisible, n'en reste pas moins adéquate.

    Une oeuvre qui me fait penser par moment au cinéma de Kitano pour ça poésie, puis à celui de Miike pour sa fureur.

    Une oeuvre forte qui ne peut laisser indifférent.

    A lire.