L
a recherche du 3ème « apôtre » a commencé pour Shizuku Kanzaki et Issei Tomine. Avant d’atteindre le Graal laissé par leur père, une sommité en matière d’œnologie, chacun des deux garçons, aux méthodes, aux caractères, et aux vécus très différents, va devoir réunir tous les indices qui lui permettront d’identifier ce nouveau vin. Une victoire serait synonyme d’ascendant pris sur l’autre dans la course vers l’héritage paternel : une collection dont la valeur est estimée à plus de deux milliards de yens.
Le pouvoir de séduction des Gouttes de Dieu, indiscutable, reste pourtant un mystère. Voilà un titre qui cumule ce qu’on a l’habitude d’appeler des casseroles pour quantité d’autres séries et auquel il est à peu près tout pardonné.
Jugez plutôt : les auteurs mettent aux prises deux frères – qui n’en sont pas réellement puisque si l’un est bien le fils naturel du Pape des œnologues nippons, l’autre est son fils adoptif – dans une compétition au long, très long cours, puisqu’après 10 tomes et 98 chapitres, seulement deux énigmes sur douze, voire treize, ont été résolues. Dans d’autres cas, historiettes contées entre deux défis ou pas, le lecteur aurait hurlé son impatience et se serait interrogé sur la matière dont est faite ce fil rouge plus extensible encore que les cordes qu’on a l’habitude de voir martyrisées dans bien des feuilletons en les tirant jusqu'à l’usure. Là, il fait preuve d’une placidité jusqu’alors insoupçonnée.
Comme son aptitude à suivre des passages mielleux à souhait. En témoignent ces sourcils à peine levés à la répétition de ces évocations de souvenirs passés, empreintes de nostalgie et de larmes mettant souvent en scène des jeunes femmes élancées, diaphanes, dissimulant un secret, qu’on retrouve, sous des noms différents bien entendu, au cours de plusieurs chapitres. Dans le tome 10, c’est une actrice capricieuse qui refuse obstinément de boire du vin, y compris pour les besoins d’une scène capitale jusqu’à ce que Shizuku lui permette de se libérer, verre à la main, d’un épisode de sa vie passée. Nectar à portée de lèvres, eau de rose dans les cœurs. Et ça passe comme une lettre à…
Dire que chacun sait désormais qu’il est bénéfique de décanter un cru d’un certain âge relève de l’euphémisme tant le geste a été expliqué, montré et commenté. Moins didactique et froid que Sommelier, il y a pourtant toujours deux ou trois enseignements à glaner (pas de contrepèterie à base de nom d’éditeur BD réputé aussi pour ses beaux livres consacrés à la cuisine) au fil des pages, telles que la particularité des vieilles vignes ou les bienfaits de l’immobilité pour optimiser l’évolution du précieux breuvage dans ce dixième volume.
Alors qu’est-ce qui fait que le plaisir est toujours au rendez-vous malgré le bégaiement des références pédagogiques, le sentiment de progression à tout petits pas et les passages plus sucrés qu’un blanc exagérément moelleux ? L’argument peut paraître naïf mais Les gouttes de Dieu est avant tout charmant. Tout simplement. Naïf sans être niais.
Ainsi la relation que se gardent bien de ne pas consommer Shizuku et sa mignonne assistante Miyabi sent bon le soap. La rivalité entre les deux concurrents prisonniers d’un lien de parenté défaillant s’exprime avec ce qu’il faut d’agressivité flegmatique, leurs personnalités radicalement opposées ne manquent pas d’atouts (sans oublier ceux des belles qui, en arrière-plan, sont à deux doigts du crêpage de chignon). Les scènes comiques typiquement « mangas » dans leurs mises en scène et leurs codes graphiques, avec ce qu’elles peuvent comporter d’extravagances passent bien dans une histoire calibrée pour un public adulte. L’ambiance feutrée est somme toute reposante. Un volume de cette série, c’est une parenthèse. La recette du feuilleton sans les trépidations, la volonté tenace de gagner sans les coups tordus, des relations saines, soit un tout, qui, finalement, n’est pas si courant. En somme, un cru bien élevé. Dans tous les sens du terme.
» Chronique du tome 6
Dixième tome consacré à la recherche du troisième apôtre. Au programme, nostalgie et vieilles vignes. Un album sympathique mais qui manque de surprise.
Après le désenchantement des deux précédents volumes, ce 10ème tome du manga oenologique "les Gouttes de Dieu" nous rassérène un peu : comme quoi, la fratrie Agi devrait bel et bien se concentrer sur son intrigue principale, la recherche des 12 apôtres... On apprécie particulièrement le concept très ambitieux qui sera au coeur de la recherche du troisième apôtre, disons pour simplifier le lien entre un vin et un souvenir "chaleureux" dont il s'agit de matérialiser l'essence à travers les éléments qui constituent le "terroir" d'un vin (qu'est-ce qui fait qu'un vin peut donner une impression humaine et rassurante ?). Ceci dit, s'il est intellectuellement assez vertigineux de rechercher des indices dans le vieillissement des plans de vigne et leur impact sur le vin produit (un chapitre techniquement passionnant comme on en manquait depuis un certain temps), ou dans les odeurs rassurantes de pâtisseries au chocolat, j'ai quand même l'impression que la recherche de tels concepts risque de nous éloigner de plus en plus d'une construction crédible de l'enquête de nos oenologues japonais préférés. Agi frère et soeur, il faudrait quand même voir à ne pas trop tirer sur la corde de notre crédulité !