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epuis qu’une épidémie mystérieuse a tué la moitié des hommes, quatre-vingt ans plus tôt, le Japon vit sous la férule des femmes. Cependant, toutes ne peuvent se payer l’homme qui les rendra mères, alors que la shogun profite seule des huit cents mâles confinés dans un pavillon spécial. Pour aider sa sœur à se marier, Mizuno décide d’entrer dans ce lieu très fermé et d’y gravir les échelons jusqu’à atteindre une bonne situation. Il y découvre un monde maniéré et fait l’amère expérience des jalousies que son ascension fulgurante suscite. Appréciant peu l’exubérance, il est repéré par Yoshimune, la nouvelle maîtresse des lieux prônant la simplicité, et devient son amant. Mais cet honneur a un prix : la vie… Une loi dont la dirigeante cherche l’origine dans des écrits vieux de huit décennies, lorsqu’Iemitsu expirait, victime de la maladie qui bouleversa tout, et que sa nourrice substituait le défunt shogun par la fille bâtarde de celui-ci, assurant ainsi la pérennité des Tokugawa.
Et si le Japon de l’époque Edo avait été dirigé par les femmes ? L’idée est originale et attise sans nul doute la curiosité. Fumi Yoshinaga (All my darling daugthers) l’a osée dans Le Pavillon des homes et, en deux tomes, le résultat de son uchronie est incontestablement positif. En effet, avec talent, la mangaka parvient à mener son récit teinté de féminisme sans jamais tomber dans la caricature. Au contraire, c’est avec un naturel désarmant que le beau sexe se glisse dans les habits de la gent masculine, tandis que les hommes jouent du fard et du pinceau à lèvres, vêtus d’hakama somptueusement brodés et colorés.
Les deux premiers tomes suivent un schéma relativement semblable, centré sur les destinées respectives de deux hommes, Mizuno et Arikoto, à quatre-vingt ans d’intervalle. L’un décrit l’archipel nippon alors que la société matriarcale née de la décimation de la population mâle rayonne pleinement. L’autre est un flash-back, savamment préparé par l’auteur au volume précédent, qui dévoile par quel tour de passe-passe la mort de Iemitsu a été cachée pour assurer le maintien de l’ordre. La continuité est assurée non seulement par le thème, mais aussi par l’intensité dramatique ménagée avec talent par l’auteure, ainsi que par la saveur digne des romans mettant en scène geishas ou concubines – quoiqu’en plus piquante – du récit. Le lecteur se laisse aisément transporter au fil des pages par une narration fluide, au rythme bien marqué, faite de secrets, de complots, de tensions et de sentiments forts, à laquelle s’ajoute une galerie de protagonistes bien campés et fascinants. L’ensemble est porté par le dessin tout d’élégance de Fumi Yoshinaga qui rend au mieux les expressions et émotions des personnages, s’attarde suavement sur les drapés et donne une bonne idée du Japon du XVIIe siècle.
Le Pavillon des hommes ouvre une uchronie captivante et bien mise en œuvre. On en redemande.
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