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American Splendor 1. Anthologie volume 1

19/10/2009 5740 visiteurs 7.3/10 (3 notes)

L es éditions çà et là poursuivent avec une belle constance l’adaptation d’ouvrages et d’auteurs peu connus dans nos contrées. C’est ici l’un des monuments de la bande dessinée indé américaine qui bénéficie de ce traitement de faveur, même si Panini Comics, en publiant récemment les derniers épisodes de la série (American Splendor : Un jour comme les autres), avait à l'occasion joué les précurseurs. Rien de la sorte n’existait toutefois pour les numéros antérieurs. A cet égard, ce premier des trois volumes à paraître de l’anthologie American Splendor regroupe des histoires auto-éditées entre 1976 à 1982. A noter d'ailleurs que paraîtra chez Cornélius, en 2010, une intégrale des récits de Pekar illustrés par le grand Crumb. Robert Crumb justement, sur lequel il faut un instant revenir tant l'importance en l'espèce est déterminante. Car s'il partage avec Harvey Pekar une même passion dévorante pour le jazz et la collection de vieux disques, il permit surtout à Pekar de se lancer dans l’écriture autobiographique et fut le premier à mettre en page les idées de bandes dessinées de ce dernier.

American Splendor fait figure d'avant-garde sur la scène underground. Sous les apparences de l’autobiographie, c'est une œuvre où, sans cesse, se pose la question de l’intention et du rythme. Si la série retrace globalement la vie d’un middle-class hero névrosé et touche-à-tout, elle le fait d’une manière unique qui, depuis, a largement fait école. American Splendor, c’est une narration fragmentée où le récit se laisse porter en fonction de l’humeur et des ruminations quotidiennes de l’auteur. Une accumulation d’instantanés de vie où la conduite du récit est volontairement abandonnée aux oscillations d’un sismographe émotif particulièrement sensible. Pekar se refuse à ordonner quoi que ce soit de peur de donner aux évènements une portée factice. Il s'oblige à retranscrire les faits dans leur immédiateté, à éviter de leur conférer une signification reconstruite a posteriori. Ni recul ni mise à distance, comme si la vie, approchée au plus près, résistait à l’exigence d’être racontée, d'être mise en forme ou même d’avoir une fin. "La vie ordinaire, c’est un truc assez complexe", répète Pekar, et le récit d’échapper à tout fil narratif, de se limiter à rapporter les faits dans leur absolue banalité, de collectionner pêle-mêle impressions fugaces et fragments sans relief.

A refuser de sublimer le quotidien, Harvey Pekar se contraint de la sorte à se dévoiler dans son entier. Impensable alors de se faire plus beau qu’il ne l’est, impossible aussi de rassembler les pièces du puzzle dans une direction calculée qui serait plus à son avantage. Il y a là comme un sacrifice, celui de l'ego. Sacrifice d’autant plus manifeste que le narrateur - il est vrai incapable de dessiner - laisse à d’autres le soin de brosser son portrait et s'approprier son image. C’est d’ailleurs toute la différence avec The Quitter, production récente et plus dispensable, qui passe pour une reconfiguration rigoureusement mise en forme de l’égo et où, de manière révélatrice, officiait un seul dessinateur. Ici, au contraire, en recréant de soi une image polyphonique, éloignée sans doute de celle qu’il se figurait, Pekar fait preuve d’une honnêteté saisissante. Une façon aussi pour lui de se redécouvrir, un peu à la manière de cette voix, la nôtre pourtant, qui sonne si étrangère dès lors qu’elle nous revient enregistrée.

Échapper à la tentation nombriliste de l’autobiographie, c’est aussi s’ouvrir à ses contemporains et peut-être, une fois délivré de l'encombrant quant-à-soi, prétendre à une certaine forme d’universalité. Le désenchantement de Pekar, c’est celui de l'Amérique désabusée. Les histoires personnelles de se fondre dans l’ambiance du Cleveland des années soixante-dix, celle d'une ville durement touchée par la crise industrielle et la déprime post Vietnam. Ce dont nous entretient Harvey Pekar en filigrane, c’est d'une Amérique qui a perdu de son lustre, de la splendeur d’antan. Et l'auteur de souligner le potentiel formidable du neuvième Art : "on peut en faire autant en BD qu’avec un roman, un film, une pièce de théâtre ou n’importe quoi. La BD, ce sont des mots et des images ; on peut tout faire avec ça". Surtout la lire.

Par D. Lemétayer
Moyenne des chroniqueurs
7.3

Informations sur l'album

American Splendor
1. Anthologie volume 1

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