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ilbert Hernandez est un conteur hors pair, un peintre de l’humain, qui n’aime rien tant que les histoires peuplées de héros mi victimes mi bourreaux, les récits d’amour et de mort. En ceci, L’enfer est pavé de bonne intentions ne déroge pas à la règle. Malgré ses résolutions, Empress ne pourra éviter le mal et la damnation. Elle est déjà condamnée. Nulle échappatoire dans l’antichambre de la mort. Jamais, elle ne pourra s’évader de la fange, du bidonville de son enfance. Réflexion sur la solitude, le conte est noir, fataliste aussi, sordide souvent. Empress est un fantôme. Pour rester vivante, elle a renoncé à ses émotions. C’est une femme sans passion qui s’éveille à la tragédie, qui s’abandonne aux rets de la dépression. Une fois sautée, la barrière qui la retenait n’annonce que d’autres fossés, des sables mouvants dans lesquels s’engluer.
Dans cette pièce en trois actes, ce petit théâtre de la tristesse et du désespoir, Gilbert Hernandez brosse un sombre tableau où les planches s’emplissent de vignettes traumatiques et puissantes. Il y convoque les thèmes qui lui sont chers : désirs irrépressibles et actes interdits, pauvreté et violence sociale. On y retrouve aussi cette manière de révéler la perversion au cœur des êtres, cette dualité irréversible qui provoque la souffrance, ainsi que ce mélange d’humanisme profond et d’amoralité assumée, de vitalité et de morbidité.
A la manière des poupées russes, L’enfer est pavé de bonnes intentions est aussi un récit dans le récit, une fiction, un story-board. C’est l’un des premiers rôles endossés par Rosalba "Fritz" Martinez, la demi-sœur de Luba, figure centrale de Palomar. Fritz y joue une prostituée - une autre figure récurrente dans les travaux de l'auteur - qui croisera le chemin d’Empress. Une nouvelle expérimentation dans le champ des possibles. Love & Rockets est un univers en perpétuelle extension. Difficile de ne pas s’en réjouir.
» Dans la série Love & Rockets, lire aussi les chroniques des deuxième et troisième tomes de Locas, ainsi que celle de La rivière empoisonnée
» Lire aussi la chronique de Sloth, les paresseux.
Mais qu'est-il arrivé à Gilbert Hernandez ? Comment a-t-il pu concevoir ces 120 pages d'horreurs, de désespoir, cette peinture nihiliste d'une sous-humanité à jamais perdue : pédophilie dans une décharge, sadomasochisme fatal, sables mouvants engloutissant une mère serrant son enfant dans ses bras, et surtout, surtout une dévorante haine de soi consumant Empress, la pauvre héroïne de cette triste descente aux enfers en 3 étapes. Loin, bien loin de l'humanité chaude et bouleversante de Palomar City, bien plus près oui des cauchemars vaguement obscènes d'une sorte de cinéma déjanté. Alors, oui "L'enfer est pavé de bonnes intentions" est un récit radical qui empoigne son lecteur... c'est un livre marquant, et ce d'autant qu'il a l'intelligence de se refermer sur le silence et le lent engourdissement d'une vie condamnée dès le départ. Mais c'est quand même à mon avis, de par sa démonstrativité un peu racoleuse, une œuvre mineure au sein de l'univers majestueux de "Love and Rockets"...