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n 2008, le Japon et la France fêtaient cent cinquante ans de relations diplomatiques et culturelles à travers une série d’événements. Et si l’ouverture à l’Occident du « Pays du soleil levant » n’a vraiment été importante qu’à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, la découverte mutuelle de l’Europe et de l’archipel nippon remonte au XVIe siècle avec l’installation des Portugais à Nagasaki. Dès cette époque, récits de voyage, lettres, traités et dessins évoquent les Japonais, leur mode de vie, et leur civilisation, fascinant déjà les Européens, tandis que, un peu plus tardivement, le Japon voit fleurir navires, marins, habits occidentaux dans ses estampes. L’attirance réciproque entre le « Vieux continent » et le pays des samouraïs se développe et s’exprime particulièrement dans les arts et les représentations graphiques, parmi lesquelles la bande dessinée a une place non négligeable.
A travers quelque deux cent quarante pages et trois cent cinquante illustrations, Paul Herman propose, dans Europe Japon. Regards croisés en BD, de faire le point sur un siècle et demi de rapports euro-japonais, en suivant la progression de ces contacts par le biais du neuvième art et de ses prémices. S’appuyant sur une documentation graphique abondante tant du côté européen que nippon, il s’attache à décortiquer l’intérêt partagé des deux cultures au fil de l’histoire – ère Meiji, guerre russo-japonaise, conflits mondiaux - et la vision qu’ont chacune de l’autre. Doublement préfacé par l’ambassadeur de France au Japon et son homologue, l’ouvrage, bilingue, se présente en deux parties égales de cent vingt pages, l’une exposant le regard de l’Occident sur l’archipel nippon, l’autre celui du « Pays du soleil levant » sur l’Europe.
Le propos de Paul Herman ainsi que les nombreuses caricatures, estampes, illustrations pour des journaux puis extraits de bande dessinées, permettent d’avoir rapidement une vue d’ensemble des rapports entre notre continent et ce territoire extrême-oriental encore mal connu. Ils soulignent également l’évolution parallèle du médium BD. Le lecteur s’aperçoit que des dessins caricaturaux aux séries franco-belges actuelles, comme des estampes aux mangas, les stades de développement sont sensiblement les mêmes. Les aventures de la Famille Fenouillard trouvent leur pendant dans les « ponchi-e » avant que les phylactères n’apparaissent à peu près à la même époque et qu’un Hergé puisse être comparé, pour son rôle novateur et fondateur, à un Rakuten ou un Tezuka.
L’auteur évoque aussi les thèmes les plus présents tant dans les albums européens que nippons, soulignant que l’Europe se complaît à dépeindre l’univers des samouraïs et des geishas, montrant bien sa connaissance limitée de l’histoire japonaise qui semble, à travers ce prisme, ne vouloir sortir d’une époque féodale uniforme (citons parmi tant d’autres Le Vent des dieux, Okko, Samouraï) – en apparence – que pour verser dans un mélange de modernité et de tradition (Yoko Tsuno, Tokyo Ghost), les guerres mondiales (Taka Takata, Buck Danny), le monde de l’électronique. Et il faut ainsi attendre un Frédéric Boilet, un Joan Sfar ou une Aurélia Aurita pour lire en images des témoignages de séjours au Japon. En revanche, les mangakas se sont intéressés à toutes les périodes historiques européennes, depuis l’Antiquité (Vinland Saga) jusqu’à nos jours, en passant par le Moyen-âge (Jehanne de Yoshikazu Yasuhiko), la Révolution (La rose de Versailles plus connue sous le titre de Lady Oscar), et la seconde guerre mondiale (1945, L’histoire des Trois Adolf). Ces BD nippones situent soit leur récit soit à ces époques et dans nos contrées, soit évoquent l’intensité des échanges à travers le métissage, de nombreux personnages ayant un parent européen ou américain venant vivre au Japon. Mais ils se penchent aussi sur des aspects bien précis de notre culture, comme le savoir-faire culinaire ou d’autres métiers de bouche, qui peuvent donner lieu à des histoires entièrement situées sur le « Vieux continent » ou dans lesquelles interviennent des protagonistes souvent français représentant notre société et ses manières.
A l'heure où le manga est bien installé dans nos librairies et nos lectures, tandis que nos albums s'exportent encore assez mal au Japon, la somme de Paul Herman est une mine d'une richesse exceptionnelle qui met bien en lumière les échanges euro-japonais. Un livre d'une grande diversité à ne pas manquer.
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