Le décalogue - Les Fleury-Nadal 3. Benjamin. (2/2)

P aris, 28 juillet 1830, le régime de Charles X expire sur les barricades. Benjamin, jeune polytechnicien prenant part à la révolte, y fait la rencontre d'Émile Heurteux, professeur de mécanique à l'école centrale des arts et manufactures, et d'Hippolyte Lecomte, artiste peintre. Une fois la tension retombée et le despote remplacé par Louis-Philippe, les trois hommes entretiennent une véritable amitié. Lors d'une réunion célébrant la demi-victoire du peuple face à l'autocratie et tentant de faire le deuil d'une république tant désirée, Benjamin découvre dans l'atelier d'Hyppolyte le portrait d'une femme à l'éblouissante beauté. Fasciné, il entreprend de retrouver sa trace, mais doit bientôt se rendre à l'évidence : Ana-Luna n'est plus, emportée qu'elle fût par le choléra.

À la fin de ses études, son diplôme en poche, Benjamin, séduit par les théories du saint-simonisme, part pour l'Égypte. Ce voyage sera pour lui l'occasion d'assouvir deux passions, celle que constitue son métier et celle, plus ancienne, qu'il éprouve depuis la plus tendre enfance pour le pays des pharaons, entretenue par un superbe ouvrage appartenant à sa famille : Nahik. Et comme si cela ne suffisait pas à le retenir, enchaîné à cette terre qu'il affectionne tant, l'ombre d'Ana-Luna elle-même semble planer sur les sables égyptiens...

Lancée en 2006, la série des Fleury-Nadal permet à Frank Giroud de narrer un passage marquant de la vie des différents protagonistes du Décalogue. Après Ninon, premier tome illustré par Lucien Rollin, le scénariste fait appel à Daniel Hulet pour offrir aux amateurs de la saga initiale un somptueux diptyque articulé autour du personnage de Benjamin.

Giroud associe à un fond historique richement documenté une histoire où les personnages, se dévoilant au fur et à mesure du récit, gagnent sans cesse en caractère. C'est donc avec intérêt que le lecteur suit l'évolution de Benjamin, qui a troqué ses rêves de gloire militaire entrevus dans les tomes VII et VIII de la série mère pour une formation de polytechnicien. Seule subsiste, de cette époque, une faculté à s'exalter, à tout quitter pour se lancer vers l'inconnu, et à se laisser porter par ses rêves autant que par ses ambitions. Et c'est en terre égyptienne que les deux pourront se réaliser. Car c'est l'amour qui attend Benjamin dans cette contrée étrangère qu'il finit par considérer comme sa propre patrie, non seulement l'amour d'un pays, mais aussi l'amour d'une femme, Aurore, seule capable d'éclipser la belle Ana-Luna dans l'esprit du jeune homme.

Au fil des deux tomes, Giroud parvient à un bel équilibre entre vérité historique et récit de fiction, car jamais la romance ne prend le pas sur son soucis de retranscrire avec précision ce qu'était la vie en Égypte à cette époque. De même, évitant l'écueil du ridicule qui attend tout scénariste tenté de donner un paysage ensorcelant pour cadre à une histoire d'amour, il confère au personnage d'Aurore une véritable identité, faisant d'elle une femme aussi érudite que déterminée dans ses objectifs.

Invité sur cette série dérivée, Daniel Hulet contribue de toute évidence au plaisir éprouvé à la lecture de ce diptyque. Par la grande finesse de son trait et une mise en couleurs très lumineuse, il poursuit le même but que son scénariste, c'est-à-dire mettre en lumière le côté magique et irréel de l'Égypte dans un cadre au réalisme incontestable. L'auteur de Pharaon est sans aucun doute au sommet de son art et offre à Benjamin les décors dont il a tant rêvé durant son enfance, lui évitant la déconvenue que peut parfois apporter la confrontation d'un songe à la réalité.

Parfaitement construite et superbement illustrée, l'histoire de Benjamin se pare en outre de textes fort bien tournés et donne raison à Giroud dans sa volonté de tirer parti de la richesse de l'univers du Décalogue. Une fois la dernière page tournée, une seule certitude vient à l'esprit : la bande dessinée classique a encore de beaux jours devant elle !


Dans la même série :

Les Fleury-Nadal T1 : Ninon