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ne panne générale d’électricité. Voici le type d'impondérable qui, par les réactions spontanées, voire instinctives, qu’il engendre, peut parfois débloquer des situations de crise et agir comme un révélateur d’évidence …
Après s’être adonné à l’écriture d’un scénario de western pour La poire en deux, Michel-Yves Schmitt renoue avec le récit intimiste et les parcours à obstacles qui caractérisaient son premier album, Dérives. Quatre histoires, autant de tranches de vie, constituent le corps de Ainsi danse, son nouvel album, bâti sur fond de relations amoureuses et de sexe, dans lequel les protagonistes, acculés dans une impasse affective, se débattent face à des problèmes qui les meurtrissent et qu’ils n’arrivent pas à résoudre.
Trente neuf jours avant Noël. Après s’être rencontrés par hasard, Maximilien, employé de banque un tantinet conventionnel, et Camille, rémunérée pour entretenir des conversations téléphoniques érotiques, atteignent le stade de la mise à l’épreuve de leur degré de tolérance et de leur capacité à respecter la bulle de l’autre. Sonia et Patrice peinent à relancer leur vie de couple après la naissance de leur premier enfant. Artiste peintre, Maïwenn est à cran. Elle doit finir une toile en vue de sa première exposition lorsque la panne d’inspiration arrive. Le cœur d’Anne-Marie, sexagénaire, hésite entre Pablo, avec lequel elle partage un quotidien sécurisant, et la griserie de l’insouciance et des plaisirs de la chair que lui offrent ses échappées avec Jérôme.
Les dialogues sont crûs, le langage direct, le rythme enlevé. Le découpage de l’ouvrage, sous forme de compte à rebours, ainsi que l’accélération de l’alternance des séquences des histoires, restituent bien la montée en puissance de la tension, l’agression ressentie par les personnages et la violence de certaines situations. La synchronisation et la nature de la phase libératrice surprennent agréablement. Le propos reste ouvert et laisse place à l’optimisme, les périodes de crises étant appréhendées comme des tremplins, des aides, à l’identification et la construction de soi. La bichromie et le graphisme opèrent comme les mots : ils font ressortir l’essentiel. Certains passages, toutefois, font regretter la redondance entre le dessin et le texte, la force de suggestion de ce dernier suffisant à évoquer, par exemple, un sexe érigé, sans qu'il soit alors nécessaire de le montrer. Sur ce plan-là, l’ouvrage aurait certainement pu gagner en subtilité et en nuances.
Ainsi danse ne laisse pas indifférent. Séduisant dans sa construction, direct et parfois brutal dans ce qu’il dit et montre, il livre à un public adulte quatre tranches de vie en prise à des situations de crise, sur fond de sexualité.
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Après le remarquable Dérives, je constate que l'auteur persiste et signe dans le même genre de roman graphique qui dépeint les tranches de vie de différents personnages sans réellement de parti pris. C'est remarquable de justesse et d'authenticité. On entre dans la vie de ces gens qui nous ressemblent. Il y a bien entendu quelques situations bien cocasses mais le ton reste toujours juste dans cette chronique sentimentale et sociale.
Il y a tant de romans graphiques qui confinent à l'ennui quand on traite simplement de la banalité de la vie quotidienne. Ici, le talent de l'auteur est de nous faire nous passionner pour ces tableaux de parcours humains sur la difficulté de vivre ou d'aimer.
C'est séduisant et brutal à la fois tout en donnant un maximum de plaisir à la lecture. Il faut dire que l'auteur ne fait pas dans la dentelle. J'aime son style car il y mêle également de la légèreté et de l'humour. Le dessin quant à lui a véritablement gagné en assurance avec un trait toujours plus affermi. J'ai finalement hâte de découvrir sa prochaine oeuvre !